Blind fate
Adapté à de multiples reprises, le motif de l’homme invisible est un fantasme à double tranchant, sur lequel Verhoeven lui-même s’est cassé les dents : l’occasion d’un exercice de style presque...
le 22 sept. 2020
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Leigh Whannell est un nom qui traîne depuis maintenant quelques années dans le cinéma horrifique. Connu à ses débuts comme le scénariste et comparse de James Wan, il a notamment écrit certains de ses films les plus connus : le premier Saw et les deux premiers Insidious non sans au passage scénariser le moins connu Dead Silence. C’est justement sur Insidious, au sein de la société de production BlumHouse, qu’il s’affranchit de son ami pour réaliser son premier film, Insidious : Chapitre 3, très imparfait mais qui recèle quelques scènes assez ingénieuses et assez fortes en termes horrifiques. Un exercice semble-t-il réussit car Jason Blum renouvela sa confiance en lui, le laissant écrire et réaliser le film Upgrade quelques années plus tard, « vigilante movie » régressif sous une toile de SF où un homme se laisse augmenter par une technologie pour trouver les assassins de sa femme, perdant le contrôle de son corps en échange. On y voit un Leigh Whannell bien plus à l’aise qui n’hésite pas à expérimenter des dispositifs de mise en scène notamment dans les séquences d’action et dans la représentation du corps du personnage principal.
Nous voici en ce début d’année 2020 et la sortie du troisième film de Whannell, The Invisible Man, nous dévoilant un cinéma horrifique qui a bien changé depuis le début de sa carrière. BlumHouse règne sans partage sur le cinéma indépendant horrifique américain, derrière une recette au succès qui ne se dément pas (malgré quelques critiques évidentes) jusqu’à obtenir son premier Oscar grâce à Get Out de Jordan Peele. C’est dans ce contexte qu’Universal s’est tourné vers BlumHouse pour donner un nouveau souffle à son répertoire de monstres qui ont fait son succès, et après une chaotique et catastrophique réactualisation de La Momie en 2017 qui a coûté une centaine de millions de dollars. Ici, on est proche des 7 millions, ce qui en fait l’un des films les plus cher de chez BlumHouse.
L’environnement social aussi a bien changé. On assiste depuis quelques temps à un mouvement de libération de la parole de la femme au niveau des violences domestiques comme sexuelles, s’incarnant dans le mouvement #MeToo et les prises de positions de certaines personnalités. C’est dans ces nouveaux enjeux que s’inscrit The Invisible Man, promettant un film d’horreur à l’ère de #MeToo en centrant le récit sur une personne victime d’une relation toxique et de violences conjugales, incarnée par Elisabeth Moss, qui semble être poursuivie par son ex-petit ami ayant réussi à devenir invisible. La principale crainte d’une telle feuille de route était bien sûr un film opportuniste qui travaille superficiellement le sujet tout en rajoutant un vernis « féministe » pour attirer et profiter du contexte ambiant.
Le film se révèle finalement assez fidèle à sa promesse initiale, notamment dans sa première heure où tout le dispositif de mise en scène de Whannell s’évertue à épouser le point de vue de cette femme, où la menace pesante et omniprésente d’un compagnon violent s’incarne paradoxalement dans le vide, l’absence. La femme n’a aucun contrôle sur son environnement et se sent constamment en danger par l’emprise psychologique que peut exercer la menace de son ex-compagnon. Chaque endroit inspire une insécurité car il peut toujours la retrouver, apparaître et ainsi l’attaquer physiquement. La première séquence du film expose très bien le dispositif au travers d’une scène de fuite, Cecilia (Elizabeth Moss) fuyant son compagnon Adrian (Oliver Jackson-Cohen) où la tension repose sur la menace du mari et la détresse de Cecilia qui essaye de s’enfuir d’une maison hautement sécurisée. Le film fait le choix, habile, de ne montrer aucune scène de violences conjugales, tout passe par la pesanteur, le silence et le vide pour enfin finalement montrer un Adrian ultra violent, apparaissant dans l’obscurité d’une forêt pour essayer de rattraper Cecilia. Avec cette première séquence, Whannell arrive à élever sa mise en scène par rapport à ses autres films, empruntant tout du long de sa première heure à John Carpenter et son Halloween dans la construction d’une menace omniprésente. Une utilisation plutôt simple de sa caméra et de sa gestion de l’espace qui rappelle aussi bien ce dernier qu’It Follows. Le film de David Robert Mitchell avait lui plus ouvertement emprunté au film de Carpenter et certains de ses panoramiques rappellent quelques-uns présents dans The Invisible Man.
Le film se construit donc, dans sa première heure, comme une progressive invasion de l’insécurité qui mène le personnage à rester exclusivement au sein d’une maison construite comme un refuge pour elle, lui aussi finissant par être compromis. Le film refuse pendant un moment tout effet spectaculaire et se concentre plutôt sur la déconstruction des relations sociales de Cecilia, son isolement induit par la persécution subie de son mari invisible. Elle n’arrive pas à trouver un travail, sa sœur coupe les ponts avec elle jusqu’à se retrouver seules et sans proches. De ce point de vue, le film arrive à toucher juste en cherchant à retranscrire certains traumatismes et blocages que peuvent subir les femmes victimes d’une relation abusive jusqu’à anéantir leur vie sociale tout en pointant la logique des pervers-narcissiques présentant leur compagne sous les pires traits.
Malheureusement, le film s’effondre dans sa deuxième partie au moment où l’homme invisible attaque physiquement le personnage de Cécilia. Après une première altercation qui aurait pu être suffisante, le film utilise la mort d’un personnage pour faire bifurquer le film vers un tout nouvel acte où il cède au spectaculaire et s’enferme dans une surenchère d’effets et de scènes d’actions. Même si la mise en scène reste assez agréable dans sa façon de montrer l’Homme Invisible en action, Whannell recycle des dispositifs de son film Upgrade et le film finit par perdre toute puissance pour revenir sur les sentiers battus du cinéma horrifique contemporain avec des logiques de confrontation avec la menace et de montée en puissance jusqu’au climax. Pire que ça, le film se finit même par une morale extrêmement douteuse qui dessert complètement le film et son propos sur la reconstruction de cette femme vis-à-vis des violences subies. Pour m’expliquer je vais être obligé de dévoiler la fin, ses tenants et ses aboutissants, pour mieux vous montrer la bêtise de cette dernière.
La dernière séquence du film est l’ultime confrontation entre Adrian et Cécilia. Adrian a réussi à faire porter le chapeau à son frère concernant les persécutions de Cécilia et cette dernière cherche à le faire avouer. Elle se rend chez lui munie d’un micro et s’engage une conversation autour d’une table avec Adrian. Elle finit par comprendre que c’est lui quand Adrian utilise un mot récurrent de l’homme invisible : « surprise ». Elle quitte la table et Adrian lui reste. Sans défense, il se fait égorger par quelqu’un d’invisible. On comprend rapidement que c’est Cécilia qui utilise une des combinaisons permettant de disparaître. Elle feint d’être sous le choc et maquille la mort d’Adrian en suicide. Le film s’achève avec une Cécilia beaucoup plus affirmée et « forte » que tout au long du film, son objectif d’affronter Adrian étant au centre de ses préoccupations pendant toute la deuxième heure.
Cette fin pose beaucoup de problèmes car elle implique que le personnage d’Adrian mérite littéralement la mort, et surtout elle ne juge pas moralement l’acte de Cécilia. L’acte de tuer est compris comme un synonyme de force, de libération et d’affirmation d’elle. Finalement, elle se rabaisse au niveau d’Adrian alors qu’elle aurait dû s’élever par rapport à lui, ne cédant pas à la violence et soutirant ses aveux. L’acte est expliqué par juste « il est trop instable » et semble légitime. L’attitude vigilante n’est même pas contrebalancée, le film se finissant sur une Cécilia sortant de chez Adrian comme libérée, dans une mise en scène plutôt iconique. Aucune question sur la violence, qui se finit par être simplement libératrice.
Avec cette fin, le film confirme que faire un film d’horreur de 2h ou plus n’est pas chose aisée, mais surtout son effondrement dans sa deuxième heure où les ingrédients composant la recette BlumHouse montrent très clairement leurs limites. Et ce malgré une première heure pleine de promesses, pouvant nous faire un espérer un bon film d’horreur dans la veine du It Follows de David Robert Mitchell, tout en s’appuyant habilement sur les enjeux du moment.
Créée
le 17 mars 2020
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