L'encre a coulé pour ce film. Beaucoup de choses ont été dites. Je n’ai jamais écrit de critique. Et pourtant, là, je vais le faire. Parce qu’il faut que ce film cesse de me hanter.

5, c’est la note du “je ne sais pas”. Je m'explique.

En chronologie inversée:
On pense très vite à Memento avec cette façon de narrer un récit, et c’est assez efficace. Le scénario, qui pourrait tenir en une phrase, prend la forme d’un jeu de pistes effréné.

Première scène. Angoisse. Nausées. Climax de violence. La tension monte, les dialogues sont courts, tout est saccadé, la caméra nous malmène, la musique nous étouffe. L’effet est réussi. L’ambiance est posée: on a déjà envie de fuir. Les scènes se succèdent, donnant peu à peu du sens à l’escalade de violence qui mène au meurtre brutal dans la boîte de nuit. Il faut mentionner ici que les dialogues sont improvisés, et les performances très convaincantes. Et puis, la fameuse scène. L’insoutenable. Les minutes qui deviennent des heures. La main de Alex qui se tend vers nous entre deux cris d’agonie. Nous sommes témoins forcés, voyeurs impuissants.

A l’image de la première scène, qui, contrairement aux cascades hollywoodiennes auxquelles nous sommes habitués, nous laisse le temps de sentir chaque coup, de voir chaque nouvelle blessure, nous assistons à la brutalité du coupable et à la destruction de la victime. Elle ne peut pas s’échapper. Et nous non plus. Ou alors, nous sommes renvoyés à cet homme qui a préféré détourner ses pas, comme nous baissons le regard. La réalité est là: et Gaspar Noé veut la montrer telle quelle. Sans l’érotisation constante et insupportable de ce genre de scènes dans le cinéma, sans le glamour répugnant que nous impose bien souvent le regard des réalisateurs sur le corps des femmes, même lorsqu’on les viole. Et ensuite, le passage à tabac, qui a encore plus d’impact parce que nous savons qu’il arrive, ayant vu le visage ensanglanté de Alex quelques scènes auparavant. Je n’ai jamais du interrompre un film de ma vie, mais là, j’ai coupé le son. Parce que c’est trop. Mais est-ce que c’est une bonne chose?

Cette scène est à double tranchant. D’une part efficace parce qu’elle est crue, de l’autre, dangereuse pour plusieurs raisons. Je tiens à mentionner ici que je suis une femme. J’ai lu beaucoup d’hommes qui parlaient de ce film, mais peu de femmes. Et pourtant, c’est important. Parce que là où cela reste de la fiction pour une majorité d’entre eux, c’est pour nous une réalité quotidienne. Nous allons d’un point A à un point B, nous choisissons des tenues, nous interagissons avec les autres avec la crainte omniprésente que cela nous arrive, comme ça nous est déjà arrivé, ou comme c’est arrivé à un pourcentage trop élevé de nos amies. Et la plupart du temps, ça n’est pas par un inconnu dans un souterrain. C’est par le copain, l’ex, l’ami, le confident, le pote du pote super sympa en soirée, le revendicateur féministe ou l’oncle bavard. La volonté du film, j’ose penser, est de dénoncer, de nous forcer à vivre l’horreur avec Alex. Le problème, c’est que malgré les procédés cinématographiques intelligents, finalement, tout est tellement “trop” que cela nous sort de l’ordinaire, où ce qui est dénoncé se produit le plus. Et c’est bien là que la bonne intention peut se trouver viciée: pour les victimes, le visionnage devient invalidant ou intenable, et pour les perpétrateurs, c’est une séance de porno.

Et c’est la même dichotomie qui s’installe par la suite dans ces belles scènes de complicité entre les trois protagonistes, et entre le couple Cassel/ Bellucci. L’horreur est augmentée par la douceur qui la suit, mais les parallèles volontaires entre la scène de viol et les scènes d’amour, ou même celle du métro où Alex explique que pour que la femme jouisse l’homme doit penser à son plaisir, sont au minimum... maladroites. Oppose-t-on ici simplement les deux pour appuyer grossièrement le contraste, l’avant et l’après, comme dans le rêve que Alex décrit, dans ce tunnel rouge où tout se brise, où advient l’irréversible? Ou bien est-on en train de décrire la différence entre l’agression et le consentement comme fine et situationnelle lorsque les deux amants jouent à se chamailler et finissent par faire l’amour?

Même si “le temps détruit tout” est une conclusion pour le moins simpliste, ce film aura en tout cas réussi sa volonté première: faire parler de lui et secouer ses spectateurs. L’objectif numéro 1 est atteint, cependant, décider d’aborder de telles thématiques, et le faire aussi crûment aurait sans doute bénéficié d’un peu plus de texte et d’un peu moins d’improvisation, ce qui aurait pu clarifier certaines maladresses. Je ne m’attarderai pas sur la représentation du milieu gay et SM, mais j’ai quelques questions à ce sujet pour M. Noé...

TatianaEros
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le 21 avr. 2021

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