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Précurseur d’une vague de films qualifiés par la désignation désormais galvaudée de “elevated horror”, It Follows m’avait fait forte impression il y a de ça une décennie. Certaines de ses images ne m’ont jamais quitté, persistant dans ma mémoire. Mais dix ans c’est long, et des films j’en ai vu, forgeant de nouvelles colonnes à mes grilles de lecture alors fébrilement crayonnées. Je suis passé sur Excel, et ça me bottait bien de repasser l’ouvrage de David Robert Mitchell au crible.
Derrière le high-concept d’une transmission du “It” titulaire par le coït, rappelant la malédiction de la VHS de Ring par exemple, beaucoup d’intentions ont été prêtées au réalisateur. Serait-ce une œuvre puritaine dégommant l’héritage de la libération sexuelle, ou bien au contraire une illustration de la pression subie par une jeunesse dont les aïeuls ont bien du mal à faire la paix avec leurs pulsions érotiques? Ou bien serait-ce tout simplement un traitement des ravages du Sida et autres MST dans une génération à qui l’on a martelé de sortir couverte? A priori pas vraiment, l’idée provenant de rêves récurrents de l’auteur dans lesquels il était suivi en permanence. Il souhaitait retranscrire ce sentiment à l’image, cette gêne constante génitrice de paranoïa. Le sexe comme vecteur de transmission permet de créer une porte de sortie en même tant qu’une condamnation : on couche pour vivre et pour mourir, ou dans les termes du cinéaste lui-même :
Love and sex are two ways in which we can at least temporarily push death away.
On est donc dans un domaine parfaitement onirique, où les interprétations peuvent divaguer autant que l’atmosphère des lieux le permettent. Dans les cauchemars, l’inéluctabilité d’une fin désastreuse est la seule constante, peu importent nos débattements. C’est la raison même de la présence de L’Idiot de Dostoïevski, lu par un des personnages en encadrement du récit, et dont la conclusion (La tentative du prince de sauver son âme se révèle un échec, et le récit se termine par une boucle, ramenant le prince à son point de départ - cf Wikipedia, je n’ai pas lu le livre) est directement dans la bouche de l’actrice : “The worst is that it is certain”.
Pour immerger le spectateur dans ce mauvais rêve, le cinéaste fait appel à toute une palette d’outils savamment distillés pour créer le malaise. La bande originale de Disasterpeace (Fez, Hyper Light Drifter) se veut discrète et sensorielle, composée de nappes de synthés qui viennent amener un sentiment d’atemporalité. Sentiment mis en exergue par les décors, les costumes et les accessoires. Alors que certains seront fringués comme des jeunes des 70s ou 80s, on voit une des adolescentes affublée d’une sorte de smartphone en forme de coquillage (créé spécialement pour le film) qui dénote, et certains véhicules anachroniques. De même, les adultes sont absents du métrage, que ce soient les figures parentales, les policiers ou les médecins, ils ne sont que de vagues silhouettes aperçus dans un coin du cadre et rapidement effacés, livrant les protagonistes à eux-mêmes. Une absence qui souligne l’absence de repères rassurants, de figures d’autorité responsables sur lesquels on pourrait s’appuyer. La caméra se déplace en mouvements lents quand elle n’est pas plan fixe, occultant volontairement certains horizons pour que la tension du “It” en hors-champs soit toujours présente. La ville est quant à elle en déliquescence, les bâtiments abandonnés jonchent les rues d’une Détroit fantôme qui n’est jamais nommée et participe à l’égarement d’une audience sans repères.
Ce dernier point sert également d’argument narratif aux nombreux petits malins terre à terre qui aiment démonter les films sur des supposées erreurs de logique. Après tout, on connaît tous une variante de cette affabulation théorique : “tu préfères ne plus jamais boire une binouze, ou être pourchassé par un escargot toute ta vie qui te tue s’il te touche?”. Hypothèse sur laquelle l’esprit créatif parlera de prendre l’avion, de s’installer sur une île ou de mettre le gastéropode en cage. Ici, on s’en fout, c’est un cauchemar, et de toutes façons ces jeunes qui vivent dans une cité en ruine n’ont sûrement pas les moyens de se payer un vol jusqu’à Bali.
Tout ce travail d’atmosphère donne lieu à une menace rampante mais toujours présente, occasionnant de véritables moments d’horreur (cette figure gigantesque, trop grande pour l’encadrement de la porte…). Les nombreux déplacements en voiture sont volontairement occultés, coupant dès que l’on atteint le bout de la rue, pour ne pas que le spectateur puisse se faire une idée de la distance entre l’héroïne et la chose la traquant. Mitchell joue avec nos perceptions pour mieux nous perdre. Il en profite pour multiplier les références, ne cachant pas ses modèles (Carpenter, Romero) tout en n’usant pas de lourds clins d’oeil appuyés. Un vrai travail d'esthète.
Dix ans plus tard l’engouement est donc intact, et les images persistent dans mon esprit, au même titre que celle de son tout aussi onirique Under the Silver Lake. Le réalisateur est rare, trois films en quatorze ans, mais a déjà réussi à se forger un univers visuel qui lui est propre. Et l’annonce de son Flowervale Street dont on ne sait rien si ce n’est le casting pour 2025 a de quoi émoustiller.