Quatrième et dernière collaboration entre Klaus Kinski et Jesús Franco, ce Jack l'Éventreur mis en scène au milieu des années 1970 avait de quoi soulever moult interrogations. Réalisé sept années après leurs trois précédentes associations, Venus in Furs, Les nuits de Dracula et enfin Justine de Sade, où l'allemand incarnait le célèbre marquis, cette nouvelle adaptation des sinistres évènements qui ensanglantèrent le quartier londonien de Whitechapel se démarquait en premier lieu des productions franciennes de l'époque signées du suisse Erwin C. Dietrich. A l'orée de leur fructueuse contribution au genre Women In Prison, débutée l'année précédente par Frauengefängnis (Femmes en cage) et plus généralement à la sexploitation, Jack l'Éventreur faisait figure sinon d'élément discordant, du moins d'une volonté manifeste de vouloir toucher un plus large public. Avec dans le rôle principal un acteur aussi célèbre pour ses interprétations habitées que pour son comportement borderline, le réalisateur et le producteur s'offraient les moyens de leurs ambitions. D'une certaine manière, mais n'allons pas trop vite...
Londres, fin du XIXème siècle. Un soir dans le quartier de Whitechapel, Sally Brown (Francine Custer) rejette les avances prononcées d'un client, semble t-il mal intentionné, avant de rejoindre ses pénates. Mais sur le chemin, la jeune prostituée croise la route du sinistre Jack l'éventreur (Klaus Kinski) qui emporte son cadavre dans un lieu tenu secret, un jardin botanique, où l'y attend son assistante Flora (Nikola Weisse). Au petit matin, il la charge de se débarrasser des restes de l'infortunée « poupée » dans la Tamise...
Disposant cette fois-ci d'un budget relativement confortable, ce Jack l'Éventreur signé Jess Franco est sans conteste l'un des films les plus abordables de son auteur. Le réalisateur de Frauengefängnis se serait-il dès lors assagi ? En partie. Car si cette production « conventionnelle » semble avoir quelque peu freiné ses élans jusqu'au-boutistes, le madrilène n'hésita pas à prendre de grandes libertés avec les événements qui ont en réalité terrorisés Whitechapel. Exit l'inspecteur Frederick Abberline et bienvenu à l'inspecteur Selby (Andreas Mannkopff). Mieux, l'éventreur devient prétexte et le double d'un personnage francien par excellence : L'horrible docteur Orlof.
Des nombreuses relectures officielles ou non du mythe Orlof que compte l'abondante filmographie de Franco, ce long métrage de 1976 est sans conteste d'un point de vue narratif et formel le plus fidèle. Abandonnant momentanément l'argument filial hérité de Franju et de ses Yeux sans visage, le personnage principal interprété par Kinski prend désormais l'honnête apparence d'un médecin, bon samaritain la journée, dont la clientèle se résume aux classes défavorisés. Or le soir venu, le docteur est en proie à diverses hallucinations, possédé par l'image d'une mère décédée et femme de mauvaise vie, qui le martyrisa enfant. Plus perturbé que véritablement sadique, cet éventreur composé par un Kinski moins excessif qu'à l'accoutumée (ou de l'image qu'il voulait bien donner) tue et mutile plus par nécessité incontrôlable que par envie.
Tourné à Zurich, dans des lieux évoquant les atmosphères post-expressionnistes des films sixties de Franco (d'Orlof au sadique Baron Von Klaus), le métrage se distingue comme énoncé précédemment par le méticuleux mimétisme de sa mise en scène. Non content de dupliquer les personnages et le scénario original d'Orlof, le cinéaste fait de même avec de nombreuses scènes. Ainsi les habitués reconnaitront sans difficulté plusieurs scènes mémorables de 1962 : l'interrogatoire des témoins avec le portrait robot du meurtrier, le cabaret avec en sus une prestation remarquée de Lina Romay, et bien évidemment celles où la fiancée de l'inspecteur, Cynthia (Josephine Chaplin) sosie de la mère de Jack, sert volontairement d'appât afin d'aider son futur conjoint à confondre l'Éventreur. Seule nouveauté (dispensable) au récit, la participation à l'enquête d'un vieil aveugle aux sens aiguisés qui saura dresser une description précise de Jack l'Éventreur : un homme petit, athlétique dont se dégage à la fois une forte odeur d'alcool à pharmacie et celle d'une épice originaire des Indes.
A l'heure du bilan, ce Jack l'Éventreur pourra sans doute difficilement prétendre à devenir un classique aux yeux des « ripperologues ». Qu'importe. Pour les admirateurs de Jess Franco, la donne est différente voire opposée. Le supposé manque d'audace de l'auteur en proposant un quasi copier-coller pourrait faire apparaître le film comme anecdotique. S'il est vrai que ce dernier déçoit au premier abord, le réalisateur offre toutefois un rôle à la mesure de Klaus Kinski. De même, ce remake colorisée à l'instar de l'original est visuellement loin d'être insignifiant : photographie inspirée, gros plans judicieux, Franco contredit une fois encore ses détracteurs. Le film aurait bien sûr gagné à plus de culot ; reste ce goût pour les ambiances malsaines et autres perversions sexuelles.
En attendant 1982 et la troisième relecture officielle de L'horrible docteur Orlof : Le sinistre docteur Orloff avec Howard Vernon et Antonio Mayans.
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