1932 est une année faste pour Paul Muni, non pas qu’il soit satisfait que Franklin Delanoo Roosevelt ait remporté les élections présidentielles, premier démocrate depuis Woodrow Wilson, mais car il eut la chance de tourner dans deux des plus grands films des années 30.
Après Scarface de Howard Hawks, Muni incarne dans Je suis un évadé, James Allen, un ancien soldat de l’armée américaine, qui revient de la première guerre mondiale avec moult projets en tête. Pourtant, comme tant d’autres, la réalité fut un dur rappel et celui-ci retourne comme avant-guerre travailler en usine. Oppressé, au bord de l’implosion, en quête de liberté et d’entreprise Allen quitte son travail ingrat et part à la recherche d’un nouveau job. Il déchante rapidement en constatant l’impossibilité de trouver un emploi stable, LeRoy (sans royaume) plaçant le contexte de son époque à son film se déroulant en 1919, peut-être pour une meilleure identification de son spectateur ?
James se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment, finit par devenir un complice involontaire d’un braquage et termine au bagne à effectuer 10 années de travaux forcés. Scandalisé par ses conditions de vie il décide de s’enfuir et de recommencer une nouvelle vie, pour le meilleur, et pour le pire …


Très clairement, le film de Mervyn LeRoy est une œuvre militante, contestataire, violente, frappante, sans concessions, comme le seront la plupart des films d’un Sydney Lumet quelques décennies plus tard. Le champ de critiques est large et le réalisateur profite de cette tribune pour taper un peu dans tous les sens.
Tout d’abord on a le droit à une charge, pas héroïque comme celle de John, contre la justice et le système pénitencier américain. La justice en premier lieu, incapable de reconnaître un innocent d’un coupable, susceptible d’envoyer n’importe qui derrière les barreaux sans se remettre en question. Problème intemporel et partagé un peu partout … Le système pénitencier ensuite, à travers ses camps de travaux forcés, qui semblent être gérés comme des Goulags, véritables enfers sur terre, où les prisonniers sont traités de la pire des façons qu’il soit, comme pourrait dirait Godard, au mépris du respect de la dignité humaine, que l'on soit condamné ou non il n'y a pas lieu de faire de différences.
Je suis un évadé égratigne aussi « l’Etat » et le personnel politique, refusant toute rédemption (un criminel reste un criminel), peu soucieux de la morale et de la justice. Promettant mais ne respectant pas ses engagements. Finalement, les voyous ne sont pas toujours ceux derrière les barreaux …
Contexte d’après-guerre, le film n’évite pas le sujet des anciens combattants et le problème de leur réinsertion dans la société. Tantôt traumatisés, tantôt remplis de rêves, ceux-ci souhaitent vivre une autre vie, et le retour s’avère parfois difficile, sans véritable soutien et effort de compréhension de la part de la population, touchés par une grande paupérisation (comme le montre le passage chez le boutiquier). Problématique qui d’ailleurs, sera toujours d’actualité avec les anciens combattants du Vietnam …

Mais le réalisateur n’oublie pas pour autant de flatter l’ego des américains en vantant la méritocratie, l’idée qu’aux Etats-Unis avec une volonté personnelle et des efforts, on réussit. Cela correspond à l’ascension fulgurante d’Allen une fois qu’il ait trouvé sa voie. Belle idée qui est censée marcher d’elle-même si le système ne devient pas une entrave comme c’est le cas dans le film.

Le format du film (1h30) est d’ailleurs bien adapté au propos et sujet du film. Point le temps de s’ennuyer dans Je suis un évadé. Après un quart d’heure assez calme, le rythme s’accélère jusqu’à devenir haletant, et ne se relâche plus jusqu’à la fin, et se termine par une séquence mémorable, voire même majestueuse.
Bien que nous ne sommes pas dans un thriller, le film ne nous épargne pas quelques moments de tension, notamment lors de la séquence du barbier ou celle de la montée de train, où le spectateur est tenu en haleine, le film pouvant basculer d'une seconde à l'autre.

On peut aussi signaler la très bonne prestation de Paul Muni, bien plus marquant que dans Scarface, jouant parfaitement sur les émotions, impérial en cet homme touchant, désireux de liberté, mais victime, comme tant d'autres, de l'injustice ordinaire et de son cycle infernal.

Après tout ça, que demander de plus ?

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