Pour sa dernière comédie, JE VAIS MIEUX, Jean-Pierre Améris a adapté le roman éponyme de David Foenkinos et aborde le mal du dos, mal du siècle, comme la conséquence d’une mauvaise communication au monde.


On aime les comédies du réalisateur Jean-Pierre Améris pour leur douceur et la vulnérabilité qui se dégage des personnages masculins. Et on aime son œuvre en général pour ce qu’elle raconte de la relation à l’autre et des difficultés de communication. Rencontré lors de la présentation de JE VAIS MIEUX à Bordeaux, Jean-Pierre Améris dit “aimer dans les livres quand quelqu’un lui parle à l’oreille”. Rien d’étonnant donc à ce que le roman éponyme de David Foenkinos (par ailleurs co-réalisateur de Jalouse) lui ait tant plu et qu’il se soit identifié à ce point à son personnage principal. Le réalisateur met toujours une grande part autobiographique dans ses comédies, et comme Laurent “souffre tout le temps du dos, a du mal à dire non, a encore pas mal de névroses et de frustrations”. Il a trouvé “formidable le postulat de traiter au travers du mal de dos toutes les douleurs: le travail, l’usure du temps dans le couple, les enfants qui quittent la maison, les parents auxquels on n’a jamais parlé”.


Car Laurent a pris la mauvaise habitude de dire oui à tout le monde et de laisser autrui pénétrer son territoire. Sans en avoir conscience, il n’a jamais posé ses limites, ni vraiment eu les codes pour communiquer, argumenter et s’imposer. Il est comme absent à lui-même. Son entourage en profite, comme son chef qui le harcèle et même son épouse (Judith El Zein), qui ne prend pas de gants pour s’adresser à lui. Ses parents le traitent toujours comme un enfant, ne l’écoutant pas ou minimisant ses problèmes. Son meilleur ami dentiste (Ary Abittan) n’est pas en reste, autocentré sur sa relation avec sa femme. Peintre, celle-ci s’obstine d’ailleurs à peindre des tableaux dont le thème principal est une grande bouche ouverte, à la manière du Cri de Munch. Le symbole de ce que vit Laurent, en somme : le grand cri silencieux d’un homme inhibé.



“Même si ce n’est pas la meilleure comédie de Jean-Pierre Améris, JE
VAIS MIEUX reste un film aux vertus thérapeutiques certaines.”



Car JE VAIS MIEUX est évidemment un film sur la place qu’un homme a du mal à trouver dans la société et dans sa propre vie. Sur un monde qu’un cinquantenaire s’est construit sur des bases qui semblaient solides, mais qui va s’effondrer. Et quand les mots ne sortent pas, on sait bien que ce sont les maux qui prennent le dessus. Le corps se rappelle toujours au bon souvenir de l’esprit pour s’exprimer, dualité qu’on connaît encore assez mal dans notre culture occidentale. Un verrou saute et la digue cède. De fait, pour Laurent, c’est son dos qui va lui rappeler brutalement qu’il existe. S’ensuivent alors des scènes assez savoureuses, montrant le parcours médical et ésotérique dans lequel Laurent se lance pour comprendre l’origine du mal et pour aller mieux.


David Foenkinos avait eu la bonne idée de faire parler son personnage à propos de l’évolution de son mal de dos et des étapes qu’il traversait, notant son état d’esprit et l’intensité de sa douleur. Jean-Pierre Améris, qui n’a pas adapté le roman avec l’auteur, n’a pas choisi cette option de voix off. Du coup, n’ayant d’autres indices à l’écran que ceux de la courbe du dos et les aïe répétitifs, le spectateur reste trop à distance des sensations et ressentis du héros. D’autant que cette fois-ci, ce n’est pas Benoît Poelvoorde (comme dans Les émotifs anonymes ou Une famille à louer) qui interprète l’alter ego du réalisateur, mais Eric Elmosnino (Espèces menacées). Et c’est peut-être là où le bât blesse. Car s’il a été choisi par le réalisateur pour « son côté très humain très fragile, frêle et fatigué”, il lui manque hélas la folie douce poelvoordienne décrite dans le roman. L’empathie qu’on éprouvait pour le Laurent original n’est absolument pas provoquée par le personnage que l’acteur compose, avec les cheveux décoiffés et le regard hagard d’une poule qui a trouvé une fourchette. Sa douleur ne provoque pas d’interrogations et n’est pas émouvante, elle est simplement énervante.


Jean-Pierre Améris a d’ailleurs voulu offrir une vision du roman “moins psychologique et beaucoup plus onirique, telle une fantaisie avec des situations burlesques et un récit initiatique à la Don Quichotte”. Par le biais de jolies métaphores visuelles liées au travail d’architecte de Laurent, le réalisateur parvient en effet très bien à capturer la poésie et la “grâce de l’être humain enfermé, qui se libère par la communication”. Mais ces situations ne sont hélas pas toutes d’égale qualité. Autant les scènes liées au monde du travail sont justes et amusantes, autant celles liées au cercle familial, amical et amoureux sont assez poussives et peu crédibles, semblant surjouées et déclenchant non pas le sourire mais le malaise.


Même si ce n’est pas la meilleure comédie de Jean-Pierre Améris, JE VAIS MIEUX reste un film aux vertus thérapeutiques certaines, dans lequel les spectateurs en souffrance trouveront quelque réconfort.


Sylvie-Noëlle


https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/je-vais-mieux-critique-868754/

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le 29 mai 2018

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