Je veux vivre !
7.6
Je veux vivre !

Film de Robert Wise (1958)

Une grande partie de la force des films de Robert Wise provient des portraits de déclassés. Dans Le coup de l’escalier, Nous avons gagné ce soir ou Marqué par la haine, des écorchés vifs vivent l’hostilité du monde de manière frontale, et s’abiment à son violent contact. Je veux vivre explore cette veine, à la différence de taille qu’il propose cette fois un portrait de femme.


Barbara Graham ne bénéficie pas de ce qu’on pourrait appeler une exposition élogieuse : condamnée pour parjure, mêlant alcool, combines, tabac et grande gueule, elle fait partie de ces individus sur qui l’on braque rarement les projecteurs. Les débuts du films, incursions dans les lieux populaires où le jazz sied merveilleusement à des plans inclinés, plantent un décor un peu sordide dans lequel on ne s’attend pas à voir sourdre de profonds élans d’humanité.


Une affaire criminelle va permettre au récit d’en permettre l’émergence. Accusée (à tort, pour cette version romancée d’une « histoire vraie » dans laquelle, visiblement, Graham aurait été plutôt réellement coupable) de complicité dans un meurtre, Barbara va tenter une défense qui va en tout point la desservir. L’intérêt du film vaut surtout pour cet aspect, presque tragique, qui souligne à quel point certains déterminismes condamnent à l’avance les individus. Le passif de Barbara fait d’elle la coupable idéale, au point qu’on la piège sans difficulté pour alourdir son cas : en lui proposant un alibi plus convaincant que sa présence aux côtés d’un ex-mari ivre mort, on lui fait miroiter de quoi s’en sortir… pour mieux révéler qu’elle était prête à payer un homme pour un faux témoignage.


La démonstration va plus loin encore : si les complices, réels coupables du meurtre, persistent à accuser Barbara, c’est pour, pensent-ils, voire leur peine allégée : jamais l’opinion ne se permettrait de condamner à mort une jeune mère célibataire, clémence dont ils pourraient, par ricochet, bénéficier. De ce point de vue, ce qui rend digne d’empathie Barbara est donc précisément ce qui contribuera à la faire condamner.


La mécanique est donc efficace, même si elle se trouve minée à de nombreuses reprises par le jeu (pourtant oscarisé…) de Susan Hayward, poussive tant dans sa gestuelle que sa tonalité.


Ce qui prévaut, c’est bien le système dans lequel son personnage s’englue, et la valeur quasi documentaire que Wise accorde à la description de la chambre à gaz : un pareil réquisitoire contre la peine de mort est particulièrement audacieux en cette fin des années 50, bien avant le regard clinique et tout aussi terrifiant que proposera Sean Penn dans Dead Man Walking.


Entre le sadisme de ces coups de fils à répétition d’un système dénué de cœur et la satire des médias, Wise ne cache pas son pessimisme : on le trouvera exprimé avec force dans cette dernière image voyant un journaliste ôter son sonotone, écœuré de laisser venir encore à lui la rumeur d’un monde décidément bien cruel.

Sergent_Pepper
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de Robert Wise et Cycle Robert Wise

Créée

le 21 mars 2018

Critique lue 470 fois

12 j'aime

4 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 470 fois

12
4

D'autres avis sur Je veux vivre !

Je veux vivre !
Docteur_Jivago
8

...And Justice for all

C'est en 1958, année où il a déjà sorti L'Odyssée du sous-marin Nerka, que Robert Wise va mettre en scène I Want to Live !, l'histoire vraie de la première femme qui va être exécutée sur le...

le 3 juil. 2019

18 j'aime

3

Je veux vivre !
Sergent_Pepper
6

Dead Woman Walking

Une grande partie de la force des films de Robert Wise provient des portraits de déclassés. Dans Le coup de l’escalier, Nous avons gagné ce soir ou Marqué par la haine, des écorchés vifs vivent...

le 21 mars 2018

12 j'aime

4

Je veux vivre !
bidulle3
9

Critique de Je veux vivre ! par bidulle3

racontant l'une des histoire les plus controversé des etat unis, barbara graham sublimement interpreté par susan hayward, robert wise, realisateur du tres renommé west side story, met en scene...

le 1 juil. 2012

4 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

618 j'aime

53