En 1964, André Cayatte sort de manière simultanée nommés Jean-Marc et La Vie Conjugale et Françoise et la Vie Conjugale. Ces deux films racontent la vie d'un couple, de leur rencontre jusqu'à leur rupture, avec une approche totalement inédite, et novatrice : le premier film raconte cette histoire du point de vue de l'homme, le second du point de vue de la femme. Enfin il n'y a ni premier ni second car les deux films sont à l'affiche le même jour, le 31 janvier 1964, et c'est le spectateur qui choisissait d'aller voir en premier celui qu'il désirait, les films étant conçus pour être vus dans l'ordre que l'on souhaite. C'était la première fois qu'une expérience pareille fut proposée en salle (l'autre exemple auquel ce double film fait évidemment penser est le Smoking / No Smoking d'Alain Resnais mais leur caractère expérimentale fait que le double point de vue proposé par Cayatte reste unique). Voilà pour le concept. Au niveau des films, maintenant, c'est assez amusant de voir que l'ensemble fait tout de même penser beaucoup à la Nouvelle Vague, on est en pleine période, et que la Nouvelle Vague conchiait Cayatte, qui n'avait vraiment rien à leur envier. Que ces querelles de chapelle paraissent ridicules désormais. Les deux films sont excellents, parmi ce que Cayatte a fait de mieux je pense, et le truc le plus étonnant c'est de constater que le cinéaste n'utilise pas un seul plan commun sur les deux films. Alors qu'ils racontent la même histoire, c'est un véritable tour de force d'avoir pensé deux longs métrages, se déroulant souvent aux mêmes endroits sur des séquences identiques sans jamais utiliser un plan commun. Le travail préparatoire des films a dû être immense. Les deux acteurs sont Marie-José Nat, qui est super, mais meilleure dans le film Françoise de manière assez nette, comme si on lui avait demandé de sous-jouer dans l'autre, et Jacques Charrier (alors époux de Brigitte Bardot) qui est malheureusement un assez mauvais acteur, aux expressions plus que limitées. Mais bien dirigé, il fait le boulot, et ils sont secondés par une armée de seconds rôles assez brillants : Michel Subor, qui sort du Petit Soldat, Giani Esposito, Jacques Monod, Macha Méril... Si l'ensemble est vraiment très stimulant, je dois tout de même reconnaitre que le film nommé Jean-Marc ou la Vie Conjugale est meilleur que son pendant féminin. La raison : c'est celui qui s'attache le plus à la vie de leur couple (bien que centré sur le mec bien sûr) et je pense que si je l'avais vu en second, je n'aurais pas eu en découvrant Françoise en premier une vision globale des enjeux qui se tenaient dans la double oeuvre. Je pense donc, quoiqu'en dise Cayatte ou le carton d'introduction un peu lourdingue imposé par la prod ou les exploitants, que le film Françoise est tout de même un peu dépendant du Jean-Marc et qu'il est mieux pour l'appréhension globale de la double oeuvre, de commencer par Jean-Marc. Mais tout de même, quelle ambition chez ce cinéaste génial, l'un des plus grands de son époque et toujours, malgré pas mal de rééditions récentes et une tentative de réhabilitation acharnée par ses admirateurs dont je fais partie, encore incroyablement sous-estimé.