Jiyan
Jiyan

Film de Jano Rosebiani (2002)

Jiyan ou la célébration de la vie

Halabja, entre le 16 et le 19 mars 1988. La petite ville du Kurdistan irakien est victime d'une attaque chimique, perpétrée par les hommes du régime de Saddam Hussein, occasionnant plusieurs milliers de morts, dont de nombreux enfants, femmes et vieillards. Ville martyr, ville symbole de ce qui est plus largement le génocide des Kurdes, l'opération Anfal, perpétré par le régime irakien en 1988 et qui a entraîné plusieurs centaines de milliers de morts.

Jiyan n'est pas un film relatant le massacre d'Halabja. C'est une fiction, fortement imprégnée du réel, qui traite de la mémoire de l'attaque et de ses conséquences. Un Kurde, Diyari, émigré aux Etats-Unis, probablement inspiré en partie du réalisateur lui-même, Jano Rosebiani, se rend à Halabja, cinq ans après le massacre, pour y superviser la construction d'un grand orphelinat. Il y rencontre, dès son arrivée, une petite fille de 10 ans, Jiyan (ce qui signifie « la vie » en Kurde), dont le visage, mais aussi les émotions, gardent les traces du massacre. Il partage alors la vie de la population d'Halabja pendant 3 mois, découvrant les multiples traumatismes, mais aussi l'espoir et la vaillance, qui imprègnent ses habitants.

Il est des villes et des événements qui sont au cœur de la mémoire d'un peuple. Halabja est sans conteste, depuis 1988, le symbole du martyr du peuple kurde et un traumatisme très fort pour toute cette nation. Pour autant, le film ne cède jamais à la mièvrerie ou à la complainte. A travers une galerie de personnages très forte, et à travers les yeux du protagoniste, en dedans (car il est Kurde) et en dehors (expatrié aux États-Unis, donc plus occidentalisé), il témoigne du choc subi par une ville et par son peuple. Il montre qu'un massacre, d'une telle ampleur, à des conséquences durables sur toute une ville et tout un peuple, dans son traumatisme, dans ses conséquences physiques et intellectuelles et dans l'absence, continuelle, des disparus. Mais il témoigne tout autant de la force qui conduit cette population à vivre, à se relever, à reconstruire et à préparer l'avenir, à l'image de cet orphelinat.

La frontière avec le réel semble tellement mince que l'on se demande toujours quelle est la part de fiction dans l'histoire, comme dans beaucoup de films kurdes. Jamais aride, arrivant à la fois à émouvoir, par des scènes très fortes, à faire rire, grâce au magnifique jeu d'acteur, le film possède à la fois une charge poétique forte par certaines scènes tout autant qu'une portée sociale et revendicative. En effet, par le génocide kurde, et le massacre d'Halabja, Saddam et ses hommes entendaient faire disparaître un peuple, son identité et sa culture. Jiyan témoigne alors à chaque instant de la vigueur des Kurdes, de la fierté de ce peuple, de sa culture, tant par la musique (le joueur de flute, sublime), les vêtements (colorés des jeunes filles, ou des hommes), la langue (tout le film est en sorani, l'un des deux principaux dialectes kurdes), par son ouverture et sa tolérance (le rapport à la religion).

Un film fort, rare, dont on ne ressort pas indemne, mais malheureusement très difficilement trouvable (il existe un DVD toutes zones sorti aux États-Unis avec les sous-titres en anglais), à l'image de la tragédie du peuple kurde, largement oubliée des médias et des grandes nations, comme le dit le protagoniste : « les Kurdes n'ont pas d'amis ».
Biyani
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Créée

le 13 juil. 2011

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Biyani

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