Les applaudissements explosent lorsqu’il monte humblement sur la scène, tous sont subjugués par ses paroles et attendent impatiemment de découvrir quel objet révolutionnaire il va sortir de sa poche, un Ashton Kutcher ressemblant physiquement à s’y méprendre à Steve Jobs dans sa quarantaine est sur scène et présente à une foule de journalistes l’avenir du baladeur. C’est ainsi que démarre le film Jobs du réalisateur indépendant Joshua Michael Stern, premier biopic consacré au mythique fondateur d’Apple à voir le jour depuis la mort tragique de Steve Jobs d’un cancer du pancréas.

On connaissait déjà le film de 1999 « Les Pirates de la Silicon Valley » avec Noah Wyle dans le rôle de Steve Jobs qui retraçait la genèse d’Apple et Microsoft jusqu’au renvoi de Steve Jobs mais aucun film ne s’était encore exclusivement attaché à Jobs et sa vie après son retour à Apple en tant que CEO. Devançant le biopic de Aaron Sorkin (The Social Network) prévu par Sony car déjà bien abouti avant la mort de Jobs, il n’aura fallu que 11 mois à Jobs pour passer du papier à la réalité. Ecrit par Matt Whiteley, Jobs couvre la vie du créateur d’Apple de ses 20 ans et la création de la firme pommée jusqu’à son grand retour (dans sa quarantaine) et le lancement de l’iPod, qui ouvre le film.

A la mort de Steve Jobs, le réalisateur Joshua Michael Stern annonçait alors un film basé sur la vraie vie de Steve avec un scénario écrit par Matt Whiteley après de nombreuses recherches et rencontres avec des proches du fondateur d’Apple (mais malheureusement écrit avant la sortie de la biographie officielle de Steve Jobs par Walter Isaacson). Pour interpréter le rôle du plus célèbre des CEO, Ashton Kutcher, un comédien plus connu pour ses pitreries dans Mon Oncle Charlie et ses rôles de simplets ou sex-symbole dans différentes comédies romantiques que pour ses investissements dans le secteur des nouvelles technologies. Admirateur de Steve Jobs, sa ressemblance physique indéniable avec le fondateur d’Apple laissait présager un départ sur de bonnes bases pour ce biopic indépendant au petit budget. Seulement voilà, 11 mois plus tard, le film est rapidement malmené par la critique, les résultats d’exploitation au box-office US sont décevants et Steve Wozniak (co-créateur d’Apple) lui-même, n’hésite pas à critiquer le film sur Internet, remettant en cause la véracité de nombreuses scènes, qualifiées de purement fictives.

Un scénario confus et confusant

Bien que le film n’explore « que » la vie de Jobs de la création d’Apple dans le garage de ses parents avec son meilleur ami Steve Wozkniak jusqu’au lancement de l’iPod, celle-ci a été si riche en événements décisifs pour comprendre le personnage, qu’un simple film de deux heures peine à suffire. Pour tenter de pallier à ce problème, le film débute par l’enchaînement de scénettes décousues tentant d’introduire le personnage. On nous fait alors comprendre que Steve est un enfant adopté, qu’il éprouve une grande passion pour la typographie et la calligraphie mais qu’il a abandonné l’université, on nous présente Steve Wozniak son meilleur ami et surtout on nous fait bien savoir que Steve est un solitaire qui n’aime pas travailler pour les autres et peut se comporter en véritable salaud, aussi bien avec les femmes qu’avec ses amis. Si tout cela parlera sans mal à ceux connaissant déjà bien la vie du CEO, ces brides d’informations, pas toujours exactes, s’avéreront quelques peu indigestes et insuffisantes pour le spectateur n’en sachant que très peu sur Steve Jobs.

Fort heureusement, le rythme du film finit par ralentir une fois Apple créé et Steve Jobs travaillant sur le projet Lisa. Là, le scénario se découpe en trois parties. La première, introduit le personnage et raconte la fondation d’Apple. La seconde explore le style unique et brutal de management basé sur le « Je ne suis pas là pour être sympa avec vous mais pour obtenir le meilleur de vous » et le « vous devez adhérer à ma vision des choses sinon dehors » de Steve Jobs ainsi que sur l’échec du projet Lisa et la réussite du Macintosh. Enfin, la dernière partie raconte l’éviction de Steve Jobs d’Apple par le conseil d’administration avant de revenir sur son retour en héros (tout en omettant de parler du rachat de Pixar et en survolant la création de Next). Bref, une vie bien chargée est condensée encore une fois en quelques scènes, souvent insuffisantes pour bien comprendre le personnage.

Assez tristement des éléments importants sont passés sous silence comme l’accident d’avion de Steve Wozniak alors que ce dernier par exemple, explique en grande partie le départ de l’homme de sa société ou encore la guerre avec Microsoft, expédiée en une scène de deux minutes. A l’inverse certaines scènes sont, d’après les vrais protagonistes, pure fiction et de nombreux faits auraient été mal relatés, notamment concernant la vision et l’enthousiasme de Jobs pour l’ordinateur personnel, la vie dans le garage ou encore le comportement de Steve, dépeint assez tôt comme un véritable leader visionnaire quand le véritable Jobs, d’après Steve Wozniak, aurait mis bien plus de temps à rentrer dans son rôle. A ces critiques, l’acteur Ashton Kutcher s’est défendu en précisant que Wozniak travaille également comme consultant sur le biopic « concurrent » à Jobs de Sony, ce à quoi l’acteur a répondu qu’il avait refusé de travailler pour le script de Matt Whiteley, le jugeant trop loin de la réalité.

Jobs version Ashton Kutcher

Si la ressemblance physique entre Steve Jobs et Ashton Kutcher est indéniable (notamment après maquillage) et qu’il est évident que l’acteur a beaucoup travaillé pour tenter de reproduire les mimiques et la gestuelle du fondateur d’Apple (la keynote de présentation de l’iPod en début de film est troublante de réalisme), on ne peut s’empêcher de voir Ashton Kutcher à travers le personnage. L’acteur en fait trop et l’illusion disparaît à l’instant où il ouvre la bouche et commence à reprendre des phrases célèbres du fondateur d’Apple. On ne voit alors que le comédien tentant d’imiter (voir de singer) tant bien que mal l’original, au point de se demander si l’on ne regarde pas un film sur Ashton Kutcher essayant d’incarner Steve Jobs et non un biopic sur ce dernier.

Enfin, comme le dit Steve Wozniak dans sa critique du film, on pourra regretter que Kutcher ne donne qu’une image faussée de Steve Jobs en le faisant passer (selon lui) davantage pour un saint qu’il ne l’était en réalité. Wozniak estime en effet que le scénario et l’admiration que voue l’acteur pour Steve Jobs, l’ont inconsciemment poussé à gommer les défauts du personnage en le faisant passer trop tôt dans l’histoire pour un bien meilleur leader et visionnaire qu’il ne l’était en réalité. Si le film ne manque pas de souligner les imperfections de Jobs, on pourra effectivement lui reprocher de représenter Steve Jobs comme une sorte de saint voir, par moments, de martyre.

Conclusion

Quoi qu’on puisse penser de lui, Steve Jobs a marqué notre époque de part les inventions révolutionnaires de son entreprise. Avec Jobs, Joshua Michael Stern s’est donné la lourde tâche d’essayer d’apprendre à ceux que ça intéresse, qui était le véritable Steve Jobs en s’appuyant sur un scénario qui aurait mérité quelques révisions une fois la biographie officielle de Jobs publiée. Si le film a su s’entourer d’un casting solide avec des acteurs offrant des prestations irréprochables comme par exemple Dermot Mulroney dans le rôle de Mike Markkula (tous simplement parfait) ou encore Josh Gad avec un très amusant Steve Wozniak, le choix, en apparence parfaitement compréhensible de Ashton Kutcher pour incarner Steve Jobs a peut-être fait plus de mal que de bien au projet. Si l’illusion physique est parfois troublante et l’acteur un bon outil marketing pour la promotion de cette production indépendante au budget réduit, le trop fort enthousiasme de l’acteur (qui a quand même fait un séjour à l’hôpital en tentant d’adopter le régime à base de fruits de Steve Jobs) et sa vision du fondateur d’Apple a, en addition d’un scénario souvent plus proche de la fiction que de la réalité, contribué à dépeindre Jobs de manière inexacte, sacralisant presque ce dernier.

Précipité par la mort de Steve Jobs et la mise en chantier d’un biopic concurrent réalisé par Sorkin, Jobs souffre d’un scénario plus fictionnel que réaliste, survolant très librement la vie de Jobs et ne semblant s’adresser qu’à ceux qui la connaissent déjà sur le bout des doigts. A défaut de donner l’envie d’entreprendre dans son garage comme l’a justement fait Sorkin dans The Social Network, Jobs se contente de raconter avec inexactitude la vie d’un homme aux défauts aussi nombreux que les qualités tout en exagérant parfois sur ces dernières. Trop léger pour être un bon biopic, trop décousu pour être un bon film de fiction, il me tarde de découvrir ce que Aaron Sorkin et Sony (qui ont eu la présence d’esprit de sécuriser les droits sur la biographie de Steve Jobs de Walter Isaacson) vont proposer dans leur version de Jobs. S’appuyant à la fois sur le livre d’Isaacson et sur l’aide de Woz en tant que consultant, ce dernier devrait en effet délivrer un biopic beaucoup plus fidèle au personnage.
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le 21 août 2013

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