Cinéaste atypique, José Bénazéraf n'aura pas attendu la décennie 70, et son glissement progressif vers la pornographie, pour connaitre les affres de la censure. Tourné en 1966, Joë Caligula, sous-titré Du suif chez les dabes, fut interdit par la Commission de contrôle des films cinématographiques en date du 22 juin 1966, celle-ci goûtant peu sa violence, ses tortures et son érotisme. Ressortie toutefois dans l'hexagone en janvier 1969 dans une version expurgée de ses scènes les plus « immorales », le long métrage originel s'inscrit idéalement dans le style anticonformiste des jeunes années de son auteur où se croisent truands et marginaux.
Joë Silverstein surnommé Caligula (Gérard Blain) et sa bande ont quitté Marseille pour semer le trouble sur Paris. Décidés à mettre sous leur coupe la Capitale, leurs méthodes expéditives mettent à mal les affaires de la pègre locale. Entre jeunes branchés sans foi ni loi et vieux caïds rangés, la guerre est rapidement déclarée.
De la première scène du film qui voit une jeune prostituée vanter les mérites de Jean-Luc Godard ou Claude Chabrol à un niaiseux clerc de notaire croisé sur le trottoir d'en face, à l'argument narratif reposant sur la confrontation entre la jeune et la vieille garde, Bénazéraf s'amuse à faire de multiples références à la Nouvelle Vague. Sur la forme, l'économie de moyen, l'improvisation visible, ou le premier rôle tenu par une ex-figure emblématique du mouvement dans le rôle d'un petit malfrat font effectivement penser à une version alternative, excessive voire parodique des premiers films de Godard, Truffaut et consorts. Provocateur dans l'âme, le réalisateur n'hésite pas ainsi à recourir à une violence des plus crues (du moins dans le paysage français 60's), avec en prime torture et immolation en sus des assassinats signés par Caligula et ses compagnons de dérive. Sur le fond, difficile de ne pas faire un parallèle entre ces jeunes truands et la bande des « jeunes turcs » des Cahiers du cinéma et leur plume assassine envers le cinéma traditionnel français.
Dans l'esprit proche de la Série B étasunienne et des codes du film noir, Joë Caligula se démarque par la violence et le caractère autodestructeur du personnage principal qui nourrissent naturellement le discours anarchiste et nihiliste du metteur en scène. Du moins en partie (n'allons pas trop vite). Quant au dernier grief de messieurs les censeurs, Bénazéraf effeuille, comme il se doit, la gent féminine laissant apparaître une nudité que la morale voulait à jamais cacher. De ce constat, le réalisateur de L'éternité pour nous offre aux voyeurs de l'époque une scène à l'esthétisme redoutable, le numéro de deux blondes strip-teaseuses au rythme des fameux I'm Evil et Trouble de Vince Taylor. Brillant.
Cependant Joë Caligula, en dépit de ses qualités et ses références, dépasse difficilement dans son ensemble le cadre de l'anecdotique. Si quelques pudibonds peuvent encore aujourd'hui s'émouvoir de la violence gratuite du métrage, les autres plus sérieusement pourront émettre des doutes quant à la cohésion de l'ensemble. Bénazéraf filme certes sans concession, mais se perd en chemin, à l'image du personnage de Brigitte. Handicapé par un scénario minimaliste, le métrage devient à mesure plus prétexte à choquer le bien pensant, qu'à suivre une vraie ligne de conduite. Joë Caligula n'est pas le film « coup de poing » attendu que promettait son début sec et nerveux, plutôt un patchwork de séquences désordonnées plus ou moins réussies. Dommage car les ingrédients étaient bien présents. Pire, Blain n'incarne pas, ou mal, le personnage amoral que laissait présager son sobriquet, et la supposée relation incestueuse entre Joë et sa sœur, à l'instar de celle de l'empereur romain, est quasiment éludée.
A découvrir néanmoins pour les plus curieux.
http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2014/08/joe-caligula-du-suif-chez-les-dabes.html