Le succès incroyable de Joker au box office ne va pas sans une certaine ironie pour un film qui s'inspire tant du Nouvel Hollywood.
Le Nouvel Hollywood, c'est cette période du cinéma américain ou des réalisateurs se mettent à faire des films à petit ou à moyen budget qui s'inscrivent dans une contre-culture, contrastant fortement avec les budgets pharaoniques des grosses machines hollywoodiennes des années précédentes, et obtiennent des succès publiques inattendus pour ce genre de films, entrainant une décennie entière où le public se précipite au cinéma pour voir des films où "des gens en costume parlent dans le noir" pour reprendre la phrase célèbre de Coppola pour décrire le Parrain.
Au vu du succès rencontré par le film de Todd Philips au budget raisonnable en comparaison des blockbusters récents, on espère que ce Joker ouvrira la voie à un "renouveau Hollywood".
Joker s'ouvre même sur le vieux logo de la Warner (celui qui était utilisé de 1972 à 1984 ), marquant immediatement l'esthétique sombre typique de ces années, et se déroule comme une étude de caractère qui n'est pas sans rappeler quelques films de la période comme Midnight Cowboy (film rempli de paumés qui ne sont pas sans rappeler Arthur Fleck) mais surtout deux films de Martin Scorsese: Taxi Driver et The King of Comedy (de Niro prenant ici la place de Lewis).
Mais le film n'est pas qu'un trip nostalgique d'une période révolue tant son propos s'ancre dans notre époque en parlant de la disparité sans cesse grandissante entre riches et pauvres, en épinglant le discours politco-économique actuel des élites à travers la figure de Thomas Wayne, qui ressemble à s'y méprendre à un savant mélange de Trump et de Macron.
Le film dans un parallèle évident avec la société dans laquelle nous évoluons tend un miroir et enfonce le clou: les coupes dans les budgets d'aide sociale et tout un pan de la société qu'on a abandonné va forcément finir par engendrer toute sorte de monstruosités sur ce terreau fertile qu'est la misère.
C'est assez saisissant de constater les similitudes entre les manifestations des citoyens de Gotham grimés en clown, et d'autres mouvements citoyens de masse que l'on peut observer en France ou ailleurs en ce moment.
Néanmoins, au delà de la question de la responsabilité collective de la société dans la création de ses propre monstres, le film tient plus de l'étude d'un personnage sombrant dans la folie que du brûlot politique.
Et quel personnage! Joaquin Phoenix maitrise son sujet et est aussi touchant dans certaines scènes qu'inquiétant dans d'autres.On éprouve pour lui autant d'empathie que de dégout.
Et puis, ce rire qui semble faire mal physiquement à Arthur Fleck et qui fait partie intégrante de la panoplie du personnage, ce rire donc, est particulièrement bien trouvé et définit parfaitement le personnage, non du Joker en général, mais de celui-ci en particulier.
Bref, un rôle à la démesure de cet acteur talentueux.
Au final, Joker est un film réussi , même s'il n'est pas sans quelques défauts ni sans quelques éléments parfois trop lourdement appuyés aussi bien dans son propos que sa mise en scène. Et s'il est vrai que je suis moins enthousiaste que la moyenne, je me réjouis du succès d'un film qui place les personnages au dessus des effets et qu'on espère voir faire des émules à l'avenir.