Bien. Jurassic Park. Bon il faut que je commence par un aveu : J'aime pleurer devant un film. C'est vrai. Un film, même s'il est moyen mais parvient à me faire lâcher une larme, je le remercie d'emblée. Rien de plus défoulant que de larguer les vannes lacrymales si les conditions sont remplies (être seul, obligatoirement, ou dans une salle obscure où personne ne verra l'humidification de mes paupières), et en ça, je n'ai rien contre le tire larmes s'il est bien mené, parce que même grossier, ça reste un art bien difficile que de toucher au but directement sans être risible.
Et parfois il m'arrive de pleurer devant n'importe quoi. C'était ça en fait l'aveu, c'est que je pleure presque à chaque fois que je mate Jurassic Park seul, je pleure d'un mélange de joie, de jubilation et de aaah c'est beau, arrachant des émotions de gosses de leur terreau infantile pour venir me nouer la gorge dès les premières détonations musicales des 50 secondes du thème d'intro de ce bon vieux John. Le souvenir de ce pic jubilatoire connu il y a 20 ans, un samedi 23 octobre vers 14h45. La séance était à 13h45, et je juge à vu de museau l'explosion de mon émulsion émotionnelle une heure plus tard, lors du plan sur le gobelet d'eau et les ondes qui s'y dessinent sous les "boum" sourds de celui que j'attendais depuis des années. Un rêve allait devenir la plus belle et dangereuse des réalités devant mes yeux aussi émerveillés que terrorisés.


Et chaque fois depuis, je ne peux faire sans.
Chaque fois je deviens un peu Alan Grant, paléontologue marginal et renfrogné, presque asocial, pour qui un micro-onde tient de la science fiction. Le gars qui a fait de sa vie ce qui le rapprochait le plus de son rêve ronronnant, un scientifique, chercheur aguerri qui dans son rêve de gosse demeure incompris. Grand ponte révolutionnaire de sa profession, c'est dans une fraction de seconde qu'il largue tout professionnalisme théorique ou déontologique pour se muer en la personne qu'il est vraiment depuis toujours, un gosse passionné par ces grosses bêtes fantastiques, majestueux dragons du passé, reliques de rêveries insensées, devant ce brachiosaure déroulant son cou du bout de ses 40 tonnes pour grignoter un arbre. Toute réalité n'existe plus, toute précaution et rationalisme s'envole, soufflé par le vent de la passion d'un enfant qui coure rejoindre son ami imaginaire titanesque.
Chaque fois, je deviens Ian Malcolm aussi, mathématicien arrogant, scientifique aussi insupportable qu'attachant, m'armant de ma provocante présence face à la prise de conscience d'une manipulation de la vie qui dépasse tout contrôle, régurgitant mon inénarrable sarcasme. Monument de charisme cynique, je sais relever la tête, avachi sur le sol à moitié mort et la moitié de mes fringues déchirées par les dents d'un tyrannosaure, pour murmurer mon ironie, demandant de "me faire penser à remercier John pour ce charmant weekend." prenant ce rire génial de Ian Malcolm, et cette voix géniale de Ian Malcolm, accompagnés par ces mimiques géniales de Ian Malcolm, quel plaisir de se foutre de la gueule du monde avec autant de classe.
Et puis je suis Ellie Sattler aussi. Docteur chevronné ne se laissant pas si rapidement aspirer par les charmes gigantesques de ce parc, femme de force et de courage, j'erre dans les conduits d'une remise sombre et humide qui n'a rien à envier aux couloirs dégoulinants et suintants du Nostromo. J'entend le silence écrasant, et le bruit régulier de mes propres pas sur le métal glacé. Et j'entend à nouveau ces pas dans leur foulée désespérée pour fuir en tentant de sortir de ce qui était devenu le terrier du pire prédateur de tous les temps.
Je suis Tim aussi, particulièrement Tim d'ailleurs, qui du haut de ses 10 ans est surement le marmot insupportable que j'étais à l'époque où j'ai vu le film au ciné pour la première fois, me souvenant encore de mon premier commentaire dont tout le monde se foutait "Mais vu leur taille, ce ne sont pas des velociraptors qu'il y a dans ce film mais des deinonychus.". J'étais vraiment un sale gosse passionné, ça devait être insupportable, je m'en rend compte en voyant Tim aujourd'hui. Et je le suis également voyant Lex, une cuillère de gelée à la main, la gelée vert fluo se mettant à trembler frénétiquement, je regarde Lex mais Lex ne me regarde pas, son regard est fixé sur un point derrière moi. Une ombre si caractéristique avançant dans un silence de mort, au rythme de ses souffles et chuintements rocailleux. Et là je suis Lex, empoignant mon petit frère par le bras pour l'emmener loin de cette passion "dévorante" qui était tellement plus sympathique dans les livres... Adossé contre un établi de cuisine, j'écoute le silence et entends les pas réguliers qui se rapprochent et des griffes qui tâtonnent et éraflent la poignée. Mais la porte est fermée... tout ira bien...... "Il est entré....."
Et je suis John Hammond, un gosse dans un corps de vieillard, dont la vitalité n'a d'égale que la passion. Je "dépense sans compter" depuis des années pour modeler mes rêves, "maniant le pouvoir génétique comme un gosse qui aurait trouvé le flingue de son père", quittant mon île avec la lourde et amer tristesse désarmante d'un père arraché à ses enfants, d'un adulte à ses fantasmagories.


Et je suis le moi d'il y a 20 ans, retrouvant l'âge de Tim et jubilant, parlant tout seul comme un gros con "Putain mais qu'est ce que c'est génial !", repassant certaines répliques sans fin, "Putain j'en ai marre d'avoir toujours raison." avant de me décider à laisser le film continuer, laissant les larmes couler sur la musique plus que superbe de John Williams qui sait, mieux que personne, accompagner le conte des belles histoires.


Voilà ce qu'est Jurassic Park pour moi. Au delà d'être le film aux effets spéciaux implacables, utilisant des images de synthèse qui perdurent dans le temps mieux qu'aucune autre, dû au bon sens et à l'astuce du duo Spielberg-Winston qui ont su allier à la perfection numérique et marionnettes pour un film qui arbore fièrement sa jeunesse visuelle face au pseudo progrès du cinéma actuel. Voilà, ça c'est dit mais c'est au délà de ça ce film disais-je surtout. C'est la réalisation d'un rêve de gosse. Ces mots sont bien souvent utilisés et en deviennent clichés prennant parfois une allure outrancière. Mais quand c'est le cas c'est le cas, et là, bah c'est le cas.

Rien de plus, rien de moins. La réalisation d'un rêve de gosse, que je ne verrai jamais vraiment autrement qu'avec mes yeux de gosse. Je le sais et j'y tiens.

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le 9 févr. 2013

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zombiraptor

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