Just Heroes
6.1
Just Heroes

Film de Wu Ma et John Woo (1989)

Juste après sa geste héroïque de "The Killer", Woo, rejoint par Ma Wu, anciens assistants du grand Chang Cheh (qui vit alors dans la pauvreté malgré sa longue carrière à la Shaw Brother), rassemblent presque tous les acteurs ayant collaboré avec le vieux réalisateur dans l'optique de lui payer sa retraite (ce que Cheh refusera avec noblesse pour donner l'argent à une association de jeunes réalisateurs) ! Projet quasi bénévole, tourné en peu de temps, Just Heroes bénéficie la plupart du temps d'une réputation de "déchet" dans la filmo de Woo: il suffit de voir la moyenne accordée par senscritique ! Pourtant, une analyse objective du film révèle quelque chose de beaucoup plus profond qu'il n'y parait...


Mettons tout de suite les choses au point: si les crédits parlent d'une co-réalisation, c'est bien la patte de Woo qui transparait le plus. Très sobre, d'un habillage technique presque sans faille et doté d'une interprétation qui évite le ridicule de bien des films HK, "Just Heroes" se révèle de plusieurs points de vue supérieur à la série des Syndicats du crime dont il s'inspire manifestement beaucoup. Sans Chow Yun-fat et dépourvu de cette aura iconique qui baigne la plupart des travaux de Woo, le résultat peut nous sembler plus "plat", presque terne. Rien n'est moins vrai: pour la première fois de sa carrière, l'ami John se dote d'un véritable scénario, riche en rebondissements et en révélations. Bon, c'est vrai, certaines se devinent assez aisément. Mais d'autres éléments m'ont vraiment surpris, le film se révélant de plus en plus couillu au fur et à mesure de son déroulement. Des thèmes que Woo n'a pas l'habitude de traiter (l'alcoolisme et le suicide, surtout, par le biais d'un personnage féminin particulièrement intéressant, pour une fois !) viennent se greffer sur ceux qui font définitivement partie de sa mythologie (trahisons, amitié, rédemption) mais avec moins de naïveté qu'à l'accoutumée. Les dialogues sonnent souvent justes, les situations sont cohérentes et le portait d'une Famille mafieuse plus réaliste que les précédentes oeuvres du réalisateur, où les Triades n'étaient jamais que des prétextes pour déclencher les passions de ses héros.


Les gunfights se font, elles plus rares. Le rythme action/dialogues n'est pas aussi bien balancé qu'à l'accoutumée, la majorité du film reposant sur le déroulement d'une enquête à la recherche d'un traitre. Si l'idée est notable, Woo n'a malheureusement pas le talent d'un Scorsese ou d'un Coppola pour développer une ambiance mafieuse par le seul biais d'une mise en scène sobre. On s'ennuie parfois un peu, les images n'étant pas aussi jolies que d'habitude, puis, dans la seconde partie du film, Woo retrouve son rythme particulier et le scénario devient véritablement haletant. Les fusillades gagnent en intensité, jusqu'à la scène finale, apocalyptique, lyrique et narrativement idéale. Woo y développe une de ses meilleures fusillades, en y ajoutant pour la première fois une dimension de verticalité avec des échanges balistiques sur deux étages.


La fin se révèle d'une cohérence totale avec le scénario, décidément plus profond qu'à l'accoutumé. Loin d'être une élégie aux gangsters, "Just Heroes" décortique la déliquescence des relations humaines, apparemment inévitables dans un milieu de violence. Si les "vieux" tentent toujours d'y faire régner des idéaux d'honneur et de loyauté, les nouvelles générations piétinent joyeusement ces valeurs qui, pourtant, séparent le gangster de la monstruosité. Cette constatation peut évidemment sortir du cadre des Triades et s'étendre à tous les domaines de la vie courante où les traditions semblent condamnées à une lente agonie. On peut, par exemple, voir le film comme la métaphore suivante: l'Oncle mafieux, éliminé en début de film, représente Chang Cheh, méprisé par l'industrie cinématographique de Hong-Kong malgré tout ce qu'il représente et le soutien de quelques-uns de ses disciples (Woo, Ma Wu, Danny Lee,...).


John Woo se sent déjà appartenir à un passé révolu, ses idéaux n'étant plus ceux de son époque. C'est la raison pour laquelle, à chaque film, depuis le Syndicat du Crime, il créé des héros à la fois classes et démodés, des reliques mythologiques qui font trembler le monde une dernière fois avant de mourir.

Amrit
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le 29 janv. 2012

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