Le sort réservé dans la Hongrie contemporaine à la minorité tsigane témoigne de l'enfoncement progressif d'une nation dans une certaine idée de la barbarie et de l'ostracisme. Â partir de faits hélas bien réels (l'assassinat de familles, enfants compris, par des milices), le film suit la journée d'une mère et de ses deux enfants. Ils sont en attente d'un départ toujours différé pour le Canada où ils doivent rejoindre le père qui a déjà quitté cette terre inhospitalière où la peur d'être les prochaines victimes régit les relations d'asservissement et d'humiliation. La mère survit grâce à des tâches ingrates qu'elle accomplit, tête baissée et soumise. Même attitude de la part de la fille qui courbe l'échine à l'école, alors que le garçon se montre plus rebelle (il sèche les cours) et plus débrouillard. Il n'empêche : le danger rôde, le massacre peut intervenir n'importe quand. Dans cet été qu'on imagine chaud, prêt à exalter toutes les tensions enfouies, seule la nature omniprésente (bois, clairières et lac) offre une respiration, un havre de paix précaire où les rires d'enfants retentissent, où il est possible quelques instants de s'occuper d'une jolie petite fille, crasseuse et délaissée par une mère sombrant dans la folie.
Double vision d'un cauchemar et d'un émerveillement, même si le premier est plus durable et réel que le second. Lorsque le film parait accomplir une boucle, on se prend à espérer que le pire sera peut-être évité, au moins pour la nuit à venir. Car rien ne justifie ces exactions violentes et impunies qui terrorisent une population déjà reléguée, vivant dans des conditions de misère épouvantables. Caméra à l'épaule, le cinéaste filme ses personnages au plus près, les suit collé à leurs pieds, leur dos ou leur nuque dans un mouvement quasi permanent qui signifie l'urgence, l'inquiétude, la peur viscérale. Par son âpreté et son intransigeance, le film engendre un certain malaise, sans doute renforcé par l'impression, qui tend néanmoins à s'estomper au fur et à mesure, qu'il s'enferme dans un dispositif qui vire parfois à l'artifice et à l'exercice de style.