Je n’ai pas vu la pièce de Jean-Luc Lagarce et je pense que c’est une bonne chose dans la mesure où j’ai été mis face à un objet d’art, de cinéma à proprement parlé. Certes, le propos, l’intrigue, les relations entre personnages, le début, la fin, le développement du film ne doit rien à Xavier Dolan, mais cela est bien peu important. Ce que je retiens est qu’il parvient, dans ce huis clos, à nous faire ressentir toute une palette de sentiments (bien plus orientée vers la tristesse, les remords, l’incompréhension, que vers la joie et la jovialité) que les différentes individualités expriment. La pierre angulaire de ce film, et donc de cette pièce, reste le rôle de Louis, cet homme qui, après plus de dix ans revient voir certains membres de sa famille pour leur annoncer sa mort prochaine. Néanmoins, à travers lui, et surtout à travers les rapports que les autres (sa mère, sa sœur, sa belle-sœur et son frère) ont, on perçoit une famille qui a parfois du mal à se comprendre. Il est certain que le départ de Louis reste un mystère pour l’ensemble de ces personnages, ainsi que son retour soudain, très inattendu. Mais c’est l’intégralité de cette famille très réduite qui semble avoir du mal à se saisir. Ce départ, véritable traumatisme pour toutes ces personnes, ne vient que métaphoriser une sorte d’instabilité dans les rapports qu’ils ont les uns avec les autres, que Dolan retranscrit dans la violence des échanges verbaux marqué par les hauteurs de voix et des insultes.
Ce retour de Louis est finalement l’occasion pour cette famille d’avoir des réponses qu’ils ne demandent jamais. On sent, tout le long du film, à chaque fois que Louis parle à l’un des membres de sa famille, une sorte d’inachèvement dans ce qui est dit, comme si on souhaitait tellement dire quelque chose ou demander quelque chose qu’on ne le fait pas… Cette sensation est exacerbée par la lenteur que Dolan donne à son film. Non pas de l’interminable, mais un temps que l’on prend, nécessaire pour qu’un millier de chose soient dites en dehors du verbe ou par-delà ces derniers. Cela se retrouve lors de la scène finale, d’une incroyable intensité, où les non-dits sont plus présents qu’ailleurs. « La prochaine fois, nous serons mieux préparés » dit la mère de Louis. Cette réplique est fantastique en cela que jamais Louis ne dit qu’il était malade ou qu’il allait mourir. Tout le monde comprend, mais personne ne le dit. C’est cela qui est formidable dans cette pièce. C’est ce que Dolan a fantastiquement réussi à retranscrire dans ce film par sa mise en scène et la direction de ses acteurs.
Il y aurait encore une centaine de chose à dire sur ce film et cette pièce (comment passer à côté des questions de rôle et de statut, des attentes de chacun, des enjeux de reconnaissance etc.), mais le mieux est d’aller le voir, de se laisser prendre par ce film, de rire à certaines situations ou répliques cinglantes, et de pleurer lorsque le film nous y invite grâce à l’intensité que Dolan parvient à créer.