Avec ce sixième film, Dolan la bête de festival obtint son premier Grand Prix à Cannes ; deux ans après y avoir reçu le Prix du Jury grâce à Mommy, sept ans après y avoir été acclamé pour son premier coup J'ai tué ma mère. Tiré d'une pièce éponyme d'un dramaturge déjà institutionnalisé, la mort précoce aidant, Juste la fin du monde est dans la lignée de son prédécesseur. Fini le centrage LGBT, place aux cas sociaux ou provinciaux émotifs (les fondamentaux demeurent comme en atteste la séquence d'ouverture en taxi, avec Louis à demi-évanoui sur « It's not a hobo » et sous le regard des autres gays, comme frappés par une foudre compatissante un instant).
À renforts de longues discussions décousues, redondantes et explosives, le film pose l'incommunicabilité en famille – qu'on ne choisit pas et dont on a pas nécessairement tort de se défaire. Le protagoniste (inspiré de Lagarce, auteur de théâtre et atteint par le sida comme lui) retrouve après dix ans une tribu avec laquelle il ne se sent et se trouve rien de commun – même pas des flash-back ou des faits à partager. Ce dernier détour (pour annoncer sa mort prochaine) est l'occasion de raviver des liens distendus en théorie, il permettra à Louis de constater la rupture irréparable et au spectateur de profiter de portraits gratinés. Cette famille est vulgaire, la séance tourne à la psychanalyse sauvage – de surface, comme si tout ça était absolument différent de Louis.
Nathalie Baye (la maman finalement complice dans Laurence Anyways) s'est travaillé un accent pour interprète cette mère en sur-jeu permanent ; une jeune mémère décalée, vivant dans les souvenirs et l'exubérance. Léa Seydoux (la brouteuse de gazon bleu dans La vie d'Adèle) est plus convaincante que jamais, dans un costume des plus banals. Vincent Cassel campe l'élément le plus puissant et le plus grotesque ; un frère hostile envers tout, prompt à inventer des histoires pour calmer son anxiété, à se raconter les autres qu'il ne comprend pas ; il est confus, énervé, se rabaisse lui-même en passant, dans un style toxique à la Yann Moix, l'équipement intellectuel mis à part.
Cotillard joue l'âme faible et délicate au milieu de ce champ de brutes – avec talent, étant à son meilleur quand elle se confond dans ce genre de filles éreintées. Cette tribu passera son temps, au moins le jour de la visite, à piailler, à se montrer aigrie, polémique ou maladroite ; les injures tombent, surtout venant d'Antoine, le seul autre homme de l'équipe, le plus blessé par les succès et l'indifférence de Louis. Ces gens espèrent de Louis une espèce de reconnaissance, ou une soumission (dans Tom à la ferme le publicitaire urbain se livrait aux démons [rétrogrades] de la campagne, ici on en espère pas tant, on croit aussi encore aux sentiments, même s'ils sont grossiers) ; ils en ont peur aussi, habitués à leur équilibre que souvent ils méprisent.
Les échanges sont rapides, le montage ne laisse pas d'air passer ou de béances s'assumer. On peut éprouver un certain plaisir devant ces caricatures et ces hystéries, jetant des décharges d'émotions exacerbées et de conflits outrés, avec une petite sauce narcissique pour épicer – avant chez Dolan, elle était au cœur et braquée devant. Elle s'exprime dans les bulles d'évasion de son collègue Louis (joué par Gaspard Ulliel, l'Hannibal Lecter jeune) – ses seuls souvenirs autorisés, en forme de clip 'drug, sex & sun'. Comme la venue de l'enfant prodige, ce mélodrame maniéré semble un exercice un peu mais surtout sciemment vain ; la démonstration d'absurdité est colorée par des musiques de gogols constipés, prolongeant les choix opérés sur Mommy, avec sa bande-son de rêveurs bloqués au supermarché.
https://zogarok.wordpress.com/2017/02/07/juste-la-fin-du-monde/