Le film en lui-même n’est pas si nul. J’aurais pu l’apprécier si je n’avais pas lu le livre que quelques heures avant mon visionnage. Je voulais que les mots de Lagarce soient dits tels qu’il les avait écrits affirme Dolan. Je n’ai absolument pas perçu le film tel quel. Bien au contraire.
Si l’on considère l’œuvre comme une adaptation, j'ai trouvé le tout mauvais, si ce n’est ridicule. Alors que le nœud tragique de la pièce est formé par l’abominable retentissement du silence, dans l’aveu avorté de la mort du personnage, Dolan a jugé indispensable de balancer Dragostea din tei en plein milieu du film.
La pièce de Lagarce est centrée sur la fugacité du temps et des mots, ces derniers usés et désabusés de leur propre signification, comme la famille de Louis l’est de sa propre existence. Le film de Dolan est un surenchérissement d’engueulades et d’insultes, (la pièce fait intervenir deux ou trois « Ta gueule », le film plusieurs « On s’en bas les couilles », «Putain »). Une connivence maladroite entre Catherine et Louis est ajoutée, ce qui ne mène à rien, si ce n’est à des jeux de regards lourdingues.
Le texte de Lagarce met en scène un homme assassiné par sa propre famille. Un homme qui essaie de se rendre maitre de la mort qui le condamne. La pièce est tiraillée entre cette vacuité du langage courant et répétitif, et cette réalité cruelle et secrète, dont Louis ne peut s'émanciper que par la mise en chair des mots. L’œuvre de Dolan montre un gigantesque brouhaha ne laissant aucune place pour les réflexions internes aux personnages (et non le beau regard triste du ténébreux Gaspard Ulliel ne suffit pas).
Je me réveillai avec l’idée étrange et désespérée encore
qu’on m’aimait déjà vivant comme on voudrait m’aimer mort
sans pouvoir et savoir jamais rien me dire
Première partie, Scène 5
je décide de tout,
la Mort aussi, elle est ma décision
et mourir vous abîme et c'est vous abîmer que je veux.
Je meurs par dépit, je meurs par méchanceté et mesquinerie,
je me sacrifie.
Première partie, Scène 10
Le Louis de papier est bouillant au sein d'un univers fait de fautes de conjugaisons. Le Louis à l'écran reste glacial et vide dans un environnement bouillonnant.
Ce qui reste fidèle au texte théâtral est repris lourdement : l’obsolescence de Louis est évoquée par la consomption des cigarettes, le retentissement du coucou, la naïveté et jeunesse de Suzanne sont incarnées par une surconsommation de joints et des tatouages floraux…En somme, des éléments de mise en scène qui font tarte à la crème.
Reste à savoir si la démarche de Dolan était réellement d’adapter l’écriture de Lagarce sur le grand écran (comme ses propos le laissent croire), ou bien tout simplement de reprendre une trame narrative, amenant ainsi à une relecture de la pièce qui soulignerait davantage des enjeux chers au réalisateur : l’homosexualité, la rapport mère/fils, les trios atypiques... Alors oui, lorsqu’une œuvre littéraire est adaptée au cinéma, le but n’est pas de donner une forme officielle au film interne du lecteur, l’œuvre littéraire n’étant pas une entité intouchable et sacrée dont il faudrait respecter la moindre virgule. Bien évidemment que la réalisation relève de la conjonction entre œuvre admirée et interprétation personnelle du réalisateur, équation indispensable pour relancer sans cesse la machine créatrice. Seulement, ma lecture personnelle et celle de Dolan sont aux antipodes. Ces deux œuvres n'ont en commun que leur titre.
c'est ce bonheur là que je devrais m'offrir,
hurler une bonne fois,
mais je ne le fais pas,
je ne l'ai pas fait.
Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le gravier.
Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai.
Epilogue