La famille. Quelle plaie. Ces réunions de famille où chaque membre d’une même lignée se regardent avec ce sentiment schizophrène qui mêle le plaisir et l’hypocrisie. Ces gens qui s’aiment mais ne se connaissent pas. Ces personnes à qui on devrait avoir le plus confiance mais à qui il est difficile de dire les choses les plus intimes. C’est la famille : une zone de non droit, un lieu de confiance confus où chacun met un masque pour devenir anonyme. Une collectivité qui mêle à l’isolement. Là-dessus, Xavier Dolan connait le socle de la famille, il en souvent parlé que cela soit dans J’ai tué ma mère ou Mommy.
Cette fois ci, il agite sa crise familiale avec un mélange qui laisse perplexe, proche de l’incompréhension totale : celui de voir un spectacle d’une grande petitesse, ahurissant de fausseté tant par le cabotinage abominable de ses acteurs que par ses quelques lignes de dialogues lénifiantes qui se superposent heureusement à des moments de tensions sourdes, des instants silencieux où le jeune québécois se fait magistral. C’est là que se révèle toute la noblesse du cinéma de Xavier Dolan. Son cinéma exulte, il exhume les sentiments.
En tant qu’auteur, il ne se positionne jamais dans une démarche analytique mais affiche ses lettres de noblesse dans l’apanage de la passion. Lui, comme son art, a cette volonté d’aimer, d’être aimé aux yeux des gens. Sauf que ce dessein est à double tranchant et demande une caractéristique primordiale : la sincérité. Malheureusement, Juste la fin du monde en manque beaucoup. Xavier Dolan parle du fait que le tournage s’est fait à l’énergie, comme si tout ce petit microcosme était happé.
Mais avant d’être un réalisateur esthète ou d’être un scénariste, il est avant tout un excellent directeur d’acteur : comment ne pas pleurer devant les prestations de Suzanne Clément ou de Melvil Poupaud dans Laurence Anyways. Et de ce côté-là, Juste la fin du monde est une catastrophe incommensurable : Léa Seydoux qui est aussi crédible en rebelle que Christine Boutin en playmate, Nathalie Baye, peinturlurée comme jamais et qui ressemble à Tata Suzanne qui ferait le tapin aux bois de Boulogne pour finir ses fins de mois.
Mais la palme du naufrage revient à Marion Cotillard et son bégaiement frénétique jouant la femme timide et soumise : elle aurait pu la jouer sobre et mystérieuse mais elle préfère se mettre dans la peau d’une Cotorep en phase terminale comme si elle avait maté Dustin Hoffman en Rain Man durant près d’un an sans relâche. Putain de cinéma français populaire qui fait de Juste la fin du monde un All Star Game du cabotinage. On a plus qu’à prier pour que Guillaume Gallienne ne travaille jamais avec Xavier Dolan. Par peur de voir l’humanité s’éteindre.
Le métrage ne fonctionne pas, la mayonnaise ne prend que très rarement, avec parcimonie, dans un récit qui cumule les moments de malaises, qui ne défriche jamais la profondeur des identités en question. La fraternité, l’homosexualité, la distance, la revanche, tout cela est trop mince, trop cadenassé dans une œuvre qui joue sur les non-dits préférant alors s’aligner sur des conciliabules vains. Xavier Dolan est un cinéaste qui doit être en pleine possession de sa liberté créatrice à défaut d’exposer la superficialité de sa posture.
Juste la fin du monde souffre du même syndrome que Tom à la ferme : celui de voir une intrigue qui tire en longueur, qui n’est qu’une accumulation de vignettes où la poésie se fait grotesque, et qui s’empêche de dénicher ses propres étincelles par ses creux scénaristiques insipides. Juste la fin du monde est mal ventilé : autant par son montage pachydermique que par son manque de rythme, de folie. Mommy était une montagne russe, alors que Juste la fin du monde est un encéphalogramme plat.
Et Xavier Dolan est comme prisonnier de chaines dont il n’arrive pas à se dépêtrer : l’exercice de style ne lui convient pas. Certes, il est plus sage dans sa mise en scène, se fait moins outrancier dans ses effets esthétiques mais cette absence de flagornerie stylistique enlève bizarrement une partie de sa personnalité cinématographique. Cette humilité dans l’exécution ne convient pas au personnage : comme si cette forme de passage à l’âge adulte était un palier difficile à atteindre pour le canadien.
Pourtant, Xavier Dolan n’a pas tout perdu, sa superbe est toujours présente notamment dans ses flash-backs qui font office de respiration ou dans ce final hystérique aussi émouvant que terrifiant qui voit le grand frère se sacrifier dans l’esprit de la famille pour sauver son petit frère de la dissimulation ; sa sœur et sa mère de la révélation. C’est simple et beau. Mais trop rare pour épaissir un film bien maigre. Juste la fin du monde est comme son personnage principal : il n’existe quasiment pas, il est spectateur et se fait le miroir d’un beau ratage alors qu’il voulait être maître de la situation.