Après douze ans d'absence, Louis est venu annoncer à sa famille qu'il va mourir. Confronté à la rancœur, à l'incompréhension, à la colère et au manque désespéré de ses proches, Louis va essayer durant tout ce huis-clos de leur annoncer la funeste nouvelle. Juste la fin du monde, adapté de la pièce éponyme de Lagarce, c'est l'histoire de ce qui devait être dit mais qui ne le fut pas.
La douleur du retour
La nostalgie, nostos algos en grec, c'est-à-dire la douleur du retour, c' est ce qu'éprouve Louis en retrouvant ce monde qu'il a laissé derrière lui douze ans auparavant. Ces gens maintenant si lointains, changés par le temps, qui autrefois furent ceux avec qui il partait se promener le dimanche ; cette ancienne maison abandonnée qu'il aimerait revoir une dernière fois avant de mourir, désir nostalgique perçu comme ridicule par son frère et sa mère ; et ce matelas encore imprégné du souvenir de ses amours juvéniles, ces amours remémorées à travers une séquence à l'esthétique clipesque, celles qu'a entretenu Louis avec Pierre Joliecoeur, jeune rebelle à la gueule d'ange. Ces souvenirs habitent Louis, esseulé et souffrant qu'il est, et se fracassent contre la dure réalité : sa petite sœur, Suzanne, est devenue une femme, tatouée et fumant de l'herbe, tandis que son grand frère, Antoine, est aigri et violent ; il ne reverra pas l'ancienne maison ; enfin son ancien amant est mort d'un cancer, parti trop jeune, comme Louis bientôt.
Dialogue de sourds, muets et aveugles
La plus grande difficulté de Louis n'est peut-être pas tant celle d'annoncer sa mort prochaine que celle de faire face à ses proches. Car cette famille marquée par des relations conflictuelles ne comprend ni l'absence, ni le retour du jeune homme. Les retrouvailles se font donc entre retenu et éclat : la retenu d'un fils qui peine à embrasser sa mère hystérique et les éclats d'un frère et d'une sœur qui ne savent pas contenir leur colère. Toute la difficulté réside dans le fait que Louis reste muet tandis que les autres sont sourds et aveugles : si Louis n'arrive pas à dire ce qu'il a à dire, les autres n'entendent pas le peu de mots qu'il prononce, des mots trahissant pourtant la raison de son retour, et ne voient pas qu'il est mourant. Aussi, l'incompréhension et le non-dit règnent-ils au sein de la famille et transparaissent jusque dans les détails : le suçon (ou le bleu ?) dans le cou de Suzanne, ou encore les égratignures sur le poing prêt à cogné d'Antoine, marques d'une violence latente, sans parler du fait que les proches n'aient pas connaissance de l'homosexualité de Louis. Une figure se détache pourtant, c'est celle de la compagne d'Antoine, Catherine, qui, elle, a compris Louis, elle sait pourquoi il est là, mais "ce n'est pas à [elle] qu'il faut le dire".
Valse d'Adieu
Louis n'arrive pas à s'assoir auprès de sa sœur, il n'arrive pas à prendre sa mère dans ses bras sans regarder ailleurs, il n'arrive pas à instaurer un véritable dialogue avec son frère, et d'échec en échec, il n'arrivera pas à leur annoncer sa mort prochaine, sinon que par l'euphémisme "je dois partir", entendu par ses proches à la lettre, c'est-à-dire comme le besoin de s'en aller de cette maison maintenant. Et dans une dernière danse, baignée d'une lumière crépusculaire, presque apocalyptique, Louis est balloté entre les filles et Antoine, pris entre les larmes, les cris, et le regard impuissant d'une compagne soumise à qui il est dit de se taire, avant de s'en aller définitivement, laissant les autres vaquer à leurs occupations habituelles. De même que cet oiseau piégé dans la maison, se cognant contre les murs avant d'être recueilli par la camera dans un dernier soupir, Louis se fracasse contre les murs dressés entre les membres de cette prison familiale, les murs de l'incompréhension durcis par le temps, et laisse pour seul adieu ce petit oiseau, créature de liberté qui, tel l'artiste souhaitant voler avec les ailes de son imagination, est mort en vol.