Il y a des choses que nous, pauvres occidentaux qui acceptons les conditions d'utilisations de tel ou tel service sans regarder, ne pouvons pas comprendre. Si, pour simplifier, on assimile les mots colonisation et mondialisation, le coté politique de l'un à économique de l'autre, il faut comprendre que cette expansion est imposée à la plus grande partie du monde comme un service qu'elle n'a pas forcément besoin.
La Kanaky, par exemple, est exposée à ce problème. C'est beau de leur dire qu'ils sont français, liberté égalité fraternité, des routes, des picks-up, des téléphones portables etc... mais en échange de quoi? Les pauvres, la France leur a carrément retiré le nom de leur pays, pire, en désignant leur terre par un patronyme délivré par un écossais. Bon, comme nous tous, j'aime bien cracher sur notre belle nation mais un minimum de rigueur intellectuelle me force à reconnaitre que si ce n'était pas la France, un autre puissant s'y serait établi et aurait fait autant fi de la population "locale".
C'est dans ce contexte que moi, enfant d'un algérien né avant 1962, et ma petite femme, nous sommes expatriés en Nouvelle Calédonie pendant trois ans, que notre premier enfant est né à Magenta et que, même, en ayant capté les charmes du pays, j'ai détesté cette expérience. Pas que je regrette, loin de là, même si j'ai explosé mon bilan carbone pour 5 générations, mais si j'ai pu découvrir de belles contrées et fait des rencontres enrichissantes culturellement, le microcosme de l'ile, le développement urbain récent m'a renvoyé un reflet écœurant de notre civilisation moderne. Un reflet que je dois assumer puisque j'en fais partie intégrante.
L'ironie veut, qu'aux antipodes de notre vieille Europe, j'y ai croisé, de relativement près, un champion du monde de foot français, j'ai nommé Christian Karembeu. Puisqu'on en parle, sur le coup, ça me semblait normal de le voir comme n'importe quel kanak mais en rapprochant les infos du générique à la date, sa présence avait sûrement un lien avec la production en cours. Quoiqu'il en soit, il est une méga star là-bas, un modèle et le tournage du film avait fait grand bruit. Et c'est donc avec un intérêt particulier que j'ai tout de suite mis ce film dans ma liste en découvrant mon nouvel abonnement OCS.
En plus, il y a Benoit, qui joue le rôle du père et chef de tribu. Lui, j'ai eu la chance de le connaitre, c'est un type super sympathique et acteur récurrent de plusieurs types de productions locales. Les plus exigeants pourront dire qu'il est loin d'être un bon acteur et c'est peut être vrai mais le gars a une présence, un vrai charisme en plus de sa bonhommie. Des talents essentiels dans ce genre de production pour mettre en confiance tous les acteurs amateurs et force est de reconnaitre que les meilleures scènes sont avec lui.
Pour présenter la topo, la Calédonie est représentée par 5 iles. La grande terre et les iles loyautés. Nouméa est la capitale de la grande terre, et d'une certaine manière, de la France pacifique, de par son regroupement de communautés polynésiennes, indochinoises et mélanésiennes. Ainsi, la ville centralise la plupart des infrastructures et on peut y vivre comme dans une grande ville française. Tout le reste du territoire est appelé brousse, une cote ouest peuplée principalement de caldoches avec des semblants de ville rappelant le far west et une cote est avec des kanaks qui peuplent essentiellement des villages traditionnels nommés tribus. Les iles loyautés, plus petites, sont bien plus typiques d'une Kanaky ancestrale, même si l'ile des pins est vouée au tourisme. Il y a aussi Lifou et Maré, sauvages et pittoresques sans oublié la plus célèbre, Ouvéa, que je n'ai pas visité.
Le scripte suit l'histoire de Karembeu entre Nouméa sur la cote ouest où il étudie à l'internat et Canala sur la cote est où toute sa famille vit, les faits se déroulent en parallèle des évènement d'Ouvéa, une tentative de rébellion avortée et matée sévèrement pendant l'entre deux tours des présidentielles françaises de 88.
Le déroulement reste banal, le jeune prodige hésite entre s'accorder une chance d'accomplir le futur que la France du foot lui connait ou de rester sur son ile près des siens, perpétuer une tradition qu'il va découvrir écornée de longue date par l'influence française. Et bien sûr les évènements vont exacerber son questionnement, dans lequel il va être tenté de joindre le soulèvement. De ce fait, il y a impasse sur son appréhension à découvrir seul le bout du monde de son vis à vis, j'ai nommé Nantes dans le 44 et c'est bien dommage, car la Calédonie se veut placée à une extrémité du monde et il était, à mon avis, aisé de donner une notion de miroir à cette prétention.
Reste que le pays n'est pas gigantesque et je pense avoir mis les pieds dans la plupart des décors naturels. Pour sûr, ce n'est pas réellement filmé à Canala. D'une manière politique, il s'agit encore d'un bastion indépendantiste encore rancunier, c'est aussi une ville minière qui n'a plus grand chose à voir avec les cité tribales traditionnelles. D'une manière géographique, coincé entre la montagne et la mer, la nature y a été complètement appauvrie par l'extraction du nickel, quand vous sortez de kilomètres de nature, le contraste est édifiant, la terre étant rouge, c'est un peu comme si vous arriviez sur un sol martien terrassé à l'extrême.
A plusieurs moments, j'ai cru y reconnaitre Yaté, ce qui me semble une bonne stratégie en terme de distance de tournage avec Nouméa, même s'il faut traverser la tribu de Saint Louis, pionnière dans le blocage de route intempestif (important quand il n'y en a qu'une) qu'on a découvert en France avec les gilets jaunes.
Peu de plans sont tournés à Nouméa. Sans doute tournés à l'arrache, on y aperçoit la gare routière et le quartier "viet" adjacent. Déjà, il faut savoir que "L'ordre et la morale", le film de Kassovitz n'a reçu aucune autorisation de tournage sur le sol calédonien et qu'il n'a pu être projeté publiquement que dans un cadre associatif. De plus, quelques mois plus tôt, des cases avaient été installées au centre de la capitale, dans le cadre d'une exposition. Sauf que pour une fange de kanaks, c'était trop beau à abandonner et ils ont habité ces cases dans une ambiance zadiste. Ceci a duré quelques mois, l'armée ne pouvant intervenir sans faire de scandale. Il a fallu ce temps aux autorités pour monter une milice de wallisiens cagoulés pour les déloger. C'est un peu gênant car, dans l'histoire, il y a une manifestation sanglante à la "place des cocotiers", à deux pâtés de maisons de la gare routière et la restitution sonore de l'évènement alors que Christian joue au foot dans la brousse en est presque honteuse. Je n'en tiens pas rigueur à la production car j'ai déjà eu à gérer des décors sur place et faut avouer que dès qu'on approche du domaine public, on marche un peu sur la tête.
L'histoire censée se passer en 88, ce n'est pas l'aéroport international flambant neuf de Tontouta que l'on voit mais celui de Nouméa, au bord de la ville. Cet aéroport, utile, principalement, pour faire la connexion avec les Iles Loyauté, est super fun, il ressemble à un aéroport en Lego, en tous cas, le jaune que j'ai reçu dans les années 80, comportant le strict essentiel.
Pour en revenir à mon ressenti, je ne vais pas vous dire que les kanaks sont de meilleurs personnes que nous, d'ailleurs, il s'agit d'un peuple qui comporte autant de défauts et de qualités que les autres. Clairement dans notre fonction d'expatriés, nous faisions partie des mieux lotis sur l'île pourtant, on ne pouvait s'empêcher de sentir que nous n'étions pas chez nous. Le malaise ne venant pas des autochtones mais biens de nos congénères s'invitant à venir exploiter disgracieusement les attraits de l'endroit. On aurait pu s'habituer et devenir comme eux mais on a préférer rentrer. C'est notre problème.
Ce qui me gêne maintenant, c'est de lire "Kanak, l'histoire oubliée". C'est évidemment un titre pour la métropole car penser que toutes ces histoires sont oubliées là bas, c'est un peu comme si on ne savait plus pourquoi on fête le 14 juillet ici. Promenez vous 5 minutes à Nouméa et vous verrez tous les jeunes kanaks arborer fièrement le ché, la corse et le FLNC en vert jaune rouge. Tous les symboles de libération possibles. Et si le seul cours scolaire de Christian étudiant est un cours d'histoire qui évoque l'Algérie, ce n'est pas un hasard non plus.