Katalin Varga par Le Blog Du Cinéma
Enfant d'Albion, Peter Strickland a débuté sa carrière dans la réalisation de métrages en Super 8, époque très inspirée par David Lynch, entre autres. C'est en 2004 que le projet de Katalin Varga se met en chantier, par des repérages réguliers dans la région de Transylvanie. Le film ne sortira en salle que cinq années plus tard, en cause une longue phase de post-production. Mais qu'à cela ne tienne, le premier long métrage de ce jeune réalisateur (et scénariste) a depuis lors pris son envol, et de quelle façon !
Babiller sur ce film relève de l'épreuve cérébrale, dévoiler le moindre paragraphe du scénario reviendrait à gâcher le plaisir du public et à anéantir le travail de toute une équipe d'artisans- lecteur fais-toi à cette inénarrable idée qu'il s'agit avant tout d'une œuvre artisanale qui hume bon le chêne non traité : premier rôle pour Hilda Péter, acteurs amateurs, conditions de tournage moyenâgeuse, spartiates.
Si l'on devait résumer Katalin Varga en deux mots : tragédie grecque. Cette odyssée humaine réunit tous les ingrédients pour étancher la soif du spectateur, et ce jusqu'à son terme. Odyssée sombre et héroïque, magique et universelle, dont la trame s'inscrit dans le schéma du triptyque primaire : secret, vengeance et justice. Peter Strickland plante consciencieusement le lieu de son intrigue dans le pays 'au-delà des forêts', la Transylvanie, terre ancestrale, mythique – à tort ou à raison – dont les formes culturelles se singularisent par le syncrétisme. Au travers de ce voyage en véhicule agraire vers ce lieu maudit qu'est Jadszereda, les paysages défilent autant que la tension croît, Katalin et Orbán partent à la conquête de leurs racines, de leur histoire, le plan contemplatif de dos filmant ces deux êtres assis dans la charrette à l'orée de la forêt nous invite à faire route ensemble et à partager leur destinée. La mouvance de l'objectif combinée à une certaine fixité fait irrémédiablement penser à la grammaire cinématographique qu'use Andrei Zvyagintsev, notamment dans 'Le retour'.
Saluons, pour un premier opus, la maestria avec laquelle Peter Strickland a fait évoluer ses personnages, la réflexion et le désordre qui s'installent dès les premiers plans, pour atteindre le climax psychologique lors de la scène de la barque, apothéose ontologique de l'intrigue, dévoilant de toute sa splendeur le talent incontestable de la comédienne Hilda Péter.
Impossible de ne pas évoquer la photographie de ce film ! Márk Györi réalise un véritable travail d'orfèvre, patient avec les éléments naturels qui n'ont pas manqué de se déchaîner lors du tournage, attendant le bon moment, faisant corps avec cette nature d'une beauté pharaonique. La lumière vacille entre des moments de clarté éthérée et de noirceur opaque, offrant à notre regard un récit narratif astucieusement métaphorique et infiniment organique, une ambiance très slave en fin de compte.
Sur cette citation de Sénèque, 'Il est préférable de guérir l'offense plutôt que de la venger. La vengeance prend beaucoup de temps, elle expose à bien des offenses', Peter Strickland y appose son histoire, simple et complexe à la fois, d'une femme qui va puiser le courage au plus profond d'elle-même pour s'affranchir des affres de son passé, et qui, sous le glaive du châtiment, se verra confrontée à la Justice, immanente ou non, tels sont les trois-petits-points subtilement semés par le réalisateur...!
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