Ken Park par FrankyFockers
Tourné en 2002, sorti sur les écrans français en 2003, « Ken Park » est le dernier film, en France, à avoir subi les foudres de la censure. Le film, certes choquant pour les personnes les plus sensibles, est passé du jour au lendemain d'une interdiction de moins de 16 ans (la législation en vigueur) à une interdiction aux moins de 18 ans, le catégorisant du coup comme œuvre pornographique ou d'extrême violence. Carrément interdit dans de nombreux pays, on pourrait se dire qu'on a eu de la chance de pouvoir le voir en France, mais il faut plutôt se dresser contre ce retour barbare de la censure d'état, et contre ce qui est ni plus ni moins qu'une entrave à la liberté d'expression artistique. Car il ne faut pas oublier que, s'il est un cinéaste, un excellent cinéaste même (« Kids », « Another day in paradise », « Bully » et « Ken Park » sont quatre films magnifiques), Larry Clark est un immense photographe, connu dans le monde entier depuis des décennies. Son travail cinématographique est le prolongement de son travail photographique, ni plus ni moins. Depuis toujours, Clark étudie avec un œil de naturaliste avisé le comportement et l'état de la jeunesse américaine, avec une apparente exactitude si troublante qu'il frôle à chaque fois la véracité du meilleur des documentaristes. La jeunesse de Clark, la vraie jeunesse américaine devrait-on dire, n'est pas celle que prône le gouvernement Bush ou le marketing des grandes sociétés alimentaires. La jeunesse de Clark, elle baise, souvent sans capote, elle se drogue, elle glande, elle fait du skate, et parfois elle se suicide. Même pas par renoncement à la vie, mais parce qu'elle s'emmerde tellement dans ses pavillons de banlieues qui ne ressemblent à rien mais qui se ressemblent tous, qu'il n'y a rien de mieux à faire que de se tirer une balle dans la tête comme ça, pour voir ce que ça fait. C'est le cas de Ken Park, jeune adolescent qui met fin à sa vie. Ce gamin là, Larry Clark & Ed Lachman (son formidable chef opérateur dont Clark a souhaité qu'il cosigne le film tant sa participation est esthétiquement importante), vont juste l'évoquer en ouverture et en clôture du film. Car ils ne souhaitent pas donner de leçons où verser dans le pathos à outrance, mais plutôt montrer, à la manière d'entomologistes post-moderne, la douleur et la désuétude de la jeunesse américaine. Clark résume son film de la sorte : Kids, mon premier film, parlait du monde secret des enfants, ce monde interdit aux parents. Dans Ken Park, nous pénétrons dans l'intimité de quatre familles et cette fois-ci, nous rencontrons les parents. L'histoire se déroule à Visalia, une petite ville de Californie isolée dans les terres entre Los Angeles et Fresno. Le film met en scène la vie de trois jeunes garçons et d'une adolescente, tous amis d'enfance, et de leurs parents. Leurs vies sont présentées sans fard, pour mettre en évidence la montée de la violence, le sexe, la haine, l'amour et les dérapages émotionnels qui confinent à la folie. Un des gosses est odieux avec ses grands-parents, se branle en s'étranglant avec la ceinture de son peignoir et collectionne les photos d'enfants rachitiques. Une autre, fille d'un religieux intégriste pour qui la sexualité est le mal incarné, ne pense qu'à se faire baiser. Un troisième, ayant pour seule passion le skate, est victime de la bêtise crasse et des ressentiments pédophiles de son idiot de père, qui ne sait pas trop comment lui prouver son affection. La voilà, l'Amérique dans toute sa splendeur étincelante, dans toute sa vérité. La plupart des ados qui jouent dans le film ne sont pas des acteurs, mais des vrais gosses, pris dans la rue, Clark procédant ici comme avec son travail photographique, en essayant de s'approcher le plus possible du réel. C'est pour cette raison que le film nous marque tant, et que de soi-disant puritains veulent le faire interdire sous prétexte de pornographie et de je ne sais quel outrage aux bonnes mœurs. Mais entre un chef d'état qui truque les élections, qui déclenche des guerres pour de stricts intérêts financiers et familiaux et un cinéaste qui ose décrire son pays tel qu'il est, avec honnêteté et autocritique, on a vite fait de voir lequel est le plus pornographique des deux.
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