On le voit venir à des kilomètres pourtant. Dès les premières minutes. "Kodachrome" suit exactement le même sillon qu'un film de Cameron Crowe, dans un style un peu plus impersonnel, certes, mais tous les éléments sont là. Un prétexte a priori absurde mais véridique basé sur un article du New York Times -la ruée dans une petite ville du Kansas en 2010 pour développer les dernières pellicules de photos Kodachrome avant la fermeture définitive du seul laboratoire utilisant encore ce procédé- et, hop, nous voilà embarqués dans un road-movie à travers les États-Unis au côté d'un célèbre photographe en phase terminale (Ed Harris) dont l'unique ultime volonté est de voir son fils (Jason Sudeikis) avec qui il est brouillé depuis des années l'accompagner pour ce dernier voyage. Même type de sublime playlist musicale surgissant toujours au bon moment. Même stéréotype de la Manic Pixie Dream Girl s'incarnant cette fois dans le personnage d'infirmière d'Elizabeth Olsen. Même sourires et émotions en cours de route. Et, évidemment, même larmes inévitables en fin de parcours...
Les similarités sont tellement énormes avec une oeuvre de Crowe qu'on se jure presque par avance de ne pas tomber dans le panneau par respect pour un des maîtres contemporains du genre.
Peine perdue car, bim, il suffit d'un moment de relâchement pour que "Kodachrome" nous chope et nous installe sans trop comprendre comment en quatrième passager dans la voiture de ces trois personnages sillonnant les routes américaines.
À partir de là, il devient quasiment impossible de ne pas succomber à ce voyage existentiel de transition vers une dernière étape pour certains et vers une nouvelle pour d'autres, impossible de ne pas sourire aux sarcasmes piquants entre un père ignoble et son fils revanchard, impossible de ne pas être séduit par une espèce de connivence parfaite entre les dialogues remarquables et le talent des comédiens qui parvient toujours à emmener le film quelque part au-delà de ses situations les plus convenues, impossible de ne pas être touché par l'authenticité de la reconstruction de la force d'un lien filial malmené par les erreurs du temps, impossible de ne pas tomber un peu amoureux aussi du personnage d'Elizabeth Olsen, impossible de ne pas voir derrière les remarquables désobligeantes et dans les yeux bleux d'Ed Harris la tristesse d'un père qui ne sait plus pourquoi il a raté son rôle, impossible de ne pas saluer la performance de Jason Sudeikis en fils blessé qui semble s'épanouir de plus en plus dans les rôles dramatiques, impossible de ne pas céder à la montée en puissance de la dernière partie qui parvient à enchaîner les pics émotionnels avec une constance qualitative égale à l'augmentation du taux d'humidification de nos yeux (avec comme paroxysme la tête de Jason Sudeikis devant la découverte du contenu des fameuses pellicules de son père)...
Bref, on ne voulait pas se faire avoir mais le tunnel d'émotions par lequel nous a fait passer "Kodachrome" et son trio d'acteurs géniaux était tout simplement irrésistible. En même temps, c'est un peu de la faute de Cameron Crowe qu'on se met peu à peu à aimer autant les (belles) copies que les originaux maintenant, le bonhomme n'a qu'à être un peu plus prolifique. D'autant qu'il y a apparemment de nouveaux talents qui commencent à relever joliment le défi de nous faire ressentir la même chose que dans ses longs-métrages...