Je connais cette loi.
Je la connais par coeur.
La loi de la réforme du divorce de 1975, celle qui ré-intègre le consentement mutuel.

Moi, je n'ai jamais vu le consentement des miens... à s'aimer.

Moi-même,
Fils de divorcés (de ces divorces qui tournent à la guérilla pendant plus d'une décennie),
"Kramer contre Kramer" de 1979, avec ce titre qui met en relief la procédure judiciaire et son protocole, est un spectre dans ma vie de petit garçon et d'homme. Plusieurs fois, ce film a traversé mon chemin ; il était l'heure pour moi de voir ce film avec tout le recul nécessaire.

Je l'ai ce recul. J'en ai même un peu trop. J'en ai tellement que j'ai fini par taper l'arrière de ma bagnole contre ce-conn*rd-de-petit-muret-de-parking-payant-de-biiiiiip.

Hum.

Si tu veux du recul, j'en ai à revendre. Finalement, je me suis fait du mouron pour peu de choses car l'on s'inquiète assez peu du garçon. On ne crie pas trop. Enfin si, ce sont les avocats crient le plus. C'est dans leurs intérêts, il faut dire. Faut trancher dans le vif. En utilisant les plus immondes leviers. Pour un peu qu'on fréquente un psychiatre. Pour un peu qu'on voit quelqu'un d'autre dans sa vie. Tout se sert. S'exploite. Pour faire son beurre, on divise. On dresse les uns contre les autres. Pour régner. Les rendre indignes pour régner. Pour faire triompher la justice. Cette instance qui vient s'immiscer au beau milieu. Comme un venin, elle vient. Pas pour la vérité. Mais pour la justice. A ce niveau-là, ce n'est plus de la justice. C'est une boucherie.

Bon, finalement, j'ai pas tellement de recul que ça. Mea Culpa.

Finalement aussi, même si ce passage au tribunal coule de source et semble significatif, les parents Kramer aurait pu s'en passer. Ce tribunal les a poussés vers l'essentiel mais aussi dans leurs retranchements réciproques.

J'ai le sentiment aussi que je ne suis pas le seul à faire mon Mea Culpa. A battre trois fois ma coulpe de mon dextre.
J'ai le sentiment que transite par ce film singulier le Mea Culpa du cinéma... Ou, plus justement, la reconnaissance de sa triste hypocrisie.

Le cinéma, dans sa phallocratie ambiante, reconnaît ne s'être jamais intéressé à l'émancipation des femmes.

Mais, dans sa mauvaise foi, il le fait d'une drôle de manière puisque c'est surtout un homme que l'on suit.

Soit ! Cela reste un message fort et un message proche des besoins de la population, proche de l'évolution des moeurs. Avec même un écho dans l'actualité avec ce père qui crie son droit de paternité et de garde en haut d'une grue à Nantes. Cet agit-prop faisant passer cette problématique sociétale pour une vulgaire guerre des sexes avait suscité l'émoi a priori mais derrière émergeait une poussée nauséabonde de cadavres : au travers de la souffrance d'un père se cachait une association réactionnaire et misogyne, légitimée médiatiquement et par le gouvernement Ayrault.

Kramer contre Kramer ne fait pas mieux en mettant en scène, de manière préférentielle, un homme, croyant casser les codes et normes.

Au-delà de la guerre pour la domination - alors que tout est domination patriarcale, enfin bref ! - le film démontre l'extrême difficulté de concilier le fait d'avoir un enfant, une vie monoparentale et un emploi à responsabilité.
Les communistes d'aujourd'hui cherchent à rendre possible cette conciliation mais la réalité passée est plus dure : ni l'U.R.S.S., malgré la volonté, la propagande et les idées, ni les pays capitalistes de l'ouest, supposés pays de la liberté, n'ont pu se résoudre à trouver un équilibre. C'est pourquoi les féminismes resteront un combat à part mais qui, sous le règne économique, ne peut trouver une ligne de fuite, pour reprendre la terminologie de Guattari-Deleuze.

Cette difficulté extrême est celle des femmes. Cette difficulté de la mère est sous-entendue au moment du procès. Cette difficulté est à peine effleurée à mon sens et pourtant c'est bien depuis une domination masculine que se noue les enjeux sociaux. C'est encore cette frustration de cinq années d'une maternité à l'ombre qui emportera la décision de Joanna Kramer. C'est comme demander à un prisonnier s'il souhaite réintégrer sa cellule. Et encore ! Le film fait bien les choses puisque Joanna, après cinq années d'arrêt professionnelle pour cause de maternité, années réprimées par un Ted non conscient, trouve un emploi... à 31 000 dollars par an (salaire assez conséquent pour un emploi de modéliste).

Ce que j'appelle une incohérence morale - pour ne surtout pas mettre en relief une possible domination masculine, ce serait catastrophique, ma brave dame ! - cache le spectre du conflit entre le rôle de mère et le rôle d'être un individu épanoui, libéré de son rôle biologique. Joanna a tenté de s'inféoder, de faire fi de l'abandon de son fils - elle ne semble d'ailleurs pas si déchirée. Elle paraît froide et rationnelle alors qu'elle revient parce que la déchirure est trop forte. Elle paraît comme un fantôme derrière les vitres.

A l'inverse, dans le rôle de Ted, Dustin Hoffman a le beau rôle. C'est à son contact qu'on saisit des lueurs de compréhension dans ses yeux. Il perçoit enfin le tyran qu'il a représenté pour Joanna, pour sa famille, pour la socialisation. Il perçoit enfin la situation inextricable de la féminité et, au-delà de la féminité, celle du cloisonnement des rôles sexuels et genrés. C'est tout d'abord une rencontre avec son fils, une rencontre des tâches qui laissaient dévolues à son épouse. Cette rencontre génère assez clairement une prise de conscience et de maturation dont il ne va plus se détacher. C'est une histoire de l'attachement affectif, aussi, pour lequel il est prêt à bousculer tous les plans qu'il a construit jusqu'alors. C'est ensuite, à l'occasion de la procédure, qu'il prend conscience de tous les impacts que la monoparentalité a provoqué sur sa vie depuis l'abandon du foyer par son épouse. C'est une demande de son avocat pour sa défense. Il s'aperçoit très vite que c'est toute sa vie qui est impactée. C'est enfin à l'occasion du procès que Ted découvre avec stupeur de la somme des injustices dont il "est" responsable (n'est responsable que ce que la société permet d'être responsable, n'est-ce pas ?).

J'ai essayé tout au long de cette critique de modérer le côté faussement démocrate et progressiste de ce film social pour en faire apparaître un bien moins joli - une réalité du cinéma contemporain - mais "Kramer contre Kramer", s'il reste insuffisant, aborde pour son époque la condition féminine, son émancipation bafouée, sa frustration et son irréversibilité dans l'existence des femmes. Il aborde aussi le divorce, sous de lourdes et onéreuses procédures, comme un phénomène de société ancré dans les moeurs.

Certains ont pensé que la fin était un final bâclé, voire une esquive insoluble. Je ne le pense pas. C'est vrai que le film génère beaucoup d'attentes. En revanche, ce qu'on a voulu montrer, en dépit de l'empathie suscitée par ce père soudainement plus débrouillard, c'est le consentement mutuel car la justice est incapable de trancher sans désavouer l'une ET l'autre partie. C'est grâce à cette focalisation sur le fait social - et non sur les personnalités et leur trajectoire - que le film garde une intégrité tout juste acceptable et sympathique.
Andy-Capet
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le 16 mars 2013

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Andy Capet

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