Le bien intentionné Monsieur Tavernier

Tavernier est mort, vive Tavernier !
C'était un roi conteur, humaniste et fantastique voyageur du temps et des espaces. C'est troublant, la veille de l'annonce de son décès, je regardais "Que la fête commence" et je me disais qu'il était heureux, très heureux, que le cinéma français ait connu l'homme affable, l'oeil malicieux, percutant, sonnant que Bertrand Tavernier avait. Qui d'autre s'intéresserait à tracer un drame satirique en pleine Régence avec pour compagnie Rochefort et Noiret ? Qui d'autre pour témoigner au cinéma que la bonne Régence progressiste avait conduit à la déportation et au mariage forcé, direction La Louisiane ? Pour cela, soyons reconnaissant.


Soyons reconnaissant de sa précision documentaire et de sa volonté de partager au monde certaines réalités, parfois sociologiques, comme c'est le cas dans L.627.


Hier soir, je regarde ce loupé. Ce L.627 qui m'avait échappé jusqu'alors et que je regarde à titre posthume, je veux dire que je regarde parce que Tavernier est mort, merde. Ce désormais post-humain. Ce post-humus.
Le réalisateur, à travers ce film multi récompensé, semble naviguer entre deux volontés manifestes, à savoir narrer le quotidien d'un policier, considéré comme bon et expérimenté, faisant à nouveau son entrée au service des "stups", et d'autre part, dresser un portrait de la police française dans un contexte donné, le contexte d'une France qui paupérise une fraction de sa population, et généralement la plus indigente et la plus immigrée. Le sujet est difficile et délicat. Reconnaissons la bravoure qu'impose l'exercice pour un humaniste comme Bertrand Tavernier.


Au travers de son protagoniste principal, Tavernier dépeint peu à peu ce service, et la police en général, sans toutefois trouver de point où il pourrait s'acharner. Sans doute parce qu'une histoire du temps présent l'oblige à une décence morale et à se retrancher conséquemment derrière le regard de ce "bon policier" qui essaie de faire bien son travail. Tout au long du film, son action est canalisée par sa volonté d'ange-gardien. Il essaie de sauver Cécile, cette personne qui vend son corps, accessoirement "indic" de la police, contre un peu de dope chourrée en douce chez les flics.


On serait en droit de se dire que ce "bon policier" court à sa perte en voulant aider Cécile sans la paterniser, sans la baiser surtout. Bah oui, faudrait pas chopper le virus, le virus qui fait peur tout le monde au début des années 90. 1992, c'est aussi l'année de la sortie des "Nuits Fauves", il ne faut pas oublier cette épée de Damoclès qui oblige le "bon policier" à la retenue.


Malgré tout, j'ai éprouvé de nombreux malaises pendant le visionnage. Alors qu'au même moment se déroule le procès des policiers américains dans le cadre de la mort de George Floyd, j'ai perçu dans ce film bien plus qu'un documentaire retenu. A de trop nombreuses reprises, la narration s'égare dans son point de vue exclusif des policiers - et c'est à ce moment-là que je me suis dit le génie du film "Les Misérables" de Ladj Ly. L.627 outrepasse ses bonnes intentions sous la pression d'actes racistes permanents, sans parler des rôles féminins réduit à une chair le plus souvent.


Documentarisme ou promotion des plus durs clichés ? Toujours est-il que ce film n'a plus trop sa place aujourd'hui tant il soulève des hauts-le-cœur. Est-ce à dire que Bertrand Tavernier, à travers ses volontés et innovations discrètes, est moins bon voyageur que je le pensais ? Le cinéphile adore, la conscience fait son œuvre. Peut-on juger un film d'il y a quarante ans à l'aune du contexte présent ? Bertrand Tavernier se pose en heureux défenseur de "Naissance d'une Nation" - que j'aime aussi. Mais j'ai envie de dire qu'il... ne fallait pas glisser. Il fallait se tenir sur la réserve, parce que le racisme reste le racisme. Il n'a pas d'époque. Et on ne fait plus de flic à moustache. Le fait que ce film soit encore salué me navre quelque peu, c'est vrai.

Andy-Capet
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le 4 avr. 2021

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