Tous ceux qui ont vu des séries policières états-uniennes ces cinquante dernières années sont familiers du procédé, que l’on voit encore et encore, au point de le connaître par coeur.
Un policier arrête un suspect et lui “lit ses droits”, sans quoi l’arrestation peut être invalidée.
Cette formalité n’a pas toujours existé. Elle découle de l’affaire Miranda, qui a secoué le monde policier et judiciaire des Etats-Unis dans les années 60.
Dix ans après l’affaire, en 1973, celle-ci est portée à l’écran en un téléfilm de 2h15 intitulé L’Affaire Marcus Nelson (The Marcus Nelson Murders). Les circonstances ont été changées : nom des personnages, lieu de l’action (qui passe de l’Arizona à New-York City). Mais les faits et le déroulé restent, globalement, similaires.
Deux jeunes femmes, Jo-Ann Marcus et Kathy Nelson, sont brutalement assassinées chez elles. L’affaire est tellement horrible (et médiatisée) qu’un énorme déploiement de policiers est affecté sur l’enquête.
Un peu plus tard, une femme subit une tentative de viol. Le criminel s’enfuit grâce à l’intervention d’un policier. Un jeune homme, Lewis Humes, est arrêté et reconnu par la victime. Dans ses poches, un policier trouve une photo et croit y identifier Jo-Ann Marcus. Après un interrogatoire pour le moins musclé, et qui s’est déroulé sans la présence d’un avocat, le jeune paumé reconnaît tout ce dont on veut ben l’accuser.
C’est alors qu’intervient un lieutenant de police qui ne partage pas la liesse générale face à l’arrestation d’un si grand criminel. Bien habillé, la voix grave, amateur de cigares et surtout entièrement chauve, le lieutenant Theo Kojak trouve des failles dans les “aveux” du suspect : comment est-il entré dans l’immeuble sans se faire repérer par le gardien ? Pourquoi désigne-t-il la seconde victime comme “la mère”, alors que les deux victimes avaient le même âge ? Et si, sur la fameuse photo qui a tout déclenché, ce n’était pas Jo-Ann Marcus ?
L’Affaire Marcus Nelson est un téléfilm d’une longueur rare, mais toujours passionnant, et sert donc de pilote à la fameuse série Kojak. Si la reconstitution des meurtres, au début, semble un peu maladroite, le reste du film est remarquable.
D’abord par son ambiance. Nous sommes plongés dans un monde glauque, sombre. Le film nous propose une immersion dans le New York crade, les immeubles insalubres, les rues infréquentables, les ruines de bâtiments jonchant les rues....
La population qui réside ici est à l’image du décor. Les quartiers que nous voyons sont peuplés de losers, de paumés, de junkies, et d'analphabètes. C’est d’ailleurs cela qui va être la source des problèmes de Lewis Humes : le personnage est peu cultivé, il ne connaît pas le fonctionnement de la justice, il ne sait pas quels sont ses droits et ne comprend, finalement, même pas qu’il risque gros en avouant des crimes qu’il n’a pas commis. Les notions d’aveu, de crime et de “charges retenues” lui sont étrangères. L’Affaire Marcus Nelson montre bien comment la justice états-unienne, de part son fonctionnement ordinaire, est injuste, puisqu’une personne pauvre et sans carnet d’adresse a peu de chances d’avoir des droits égaux. Ainsi, Lewis Humes a droit à deux procès pendant le film, le premier avec un avocat commis d’office et qui sera incapable de saisir quoi que ce soit, et le second avec un ténor du barreau (interprété par l’excellent José Ferrer, sobre et affuté comme un scalpel).
L’écriture du scénario est remarquable. Tout s’enchaîne avec une logique implacable, le déroulement de l’action irréprochable. Ici, aucun deus ex machina, aucun twist, aucun retournement de dernière minute sorti de nulle part.
Si Kojak est le personnage principal et le narrateur, il n’est pas pour autant un héros invincible. Le film en fait un être humain, avec ses dégoûts, ses passions, ses coups de colère même. Le protagoniste suit le réalisme qui semble être le maître mot de L’Affaire Marcus Nelson. Réalisme dans le déroulement de l’enquête, réalisme des personnages, réalisme de la description sociale d’une Amérique des paumés.
Pilote de la série Kojak, L’Affaire Marcus Nelson peut se voir comme un film à part entière, un polar doublé d’un thriller judiciaire, saupoudré de critique sociale. Un film passionnant.


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SanFelice
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes L'Amérique des paumés et Une année qui commence avec John Carpenter ne peut pas être une mauvaise année (films 2020)

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le 1 juil. 2020

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