Le cinéma est souvent affaire de familles, et parmi toutes celles d'Hollywood ce sont les frères Gilroy qui commencent sérieusement à faire parler d'eux. Alors que Tony s'est surtout fait connaitre pour son travail en tant que scénariste sur la saga Jason Bourne et que John lui ne s'occupe que de montage, c'est leur frère Dan qui a crée la surprise en 2014 avec son premier film Nightcrawler. Un fascinant thriller au nihilisme exacerbé qui était habité par un Jake Gyllenhaal au sommet et d'une puissante réflexion sur la violence des images transmises à une société de plus en plus indifférente. Dan Gilroy posait les bases d'un cinéma diablement intriguant et c'est 4 ans après que l'on peut voir si les promesses sont tenues avec son nouveau film, Roman J. Israel, Esq.


Alors que Tony Gilroy s'était déjà essayé au legal thriller avec le bancal Michael Clayton, il est assez intéressant de voir comment son frère aborde un tel genre. Si on devait comparer les deux approches, alors il ne ferait aucun doute que Dan Gilroy en ressort comme un cinéaste beaucoup plus accomplit dans son style et ses réflexions. Sans jamais atteindre la densité et la fascination distillée par son premier long-métrage, Roman J. Israel, Esq. reste néanmoins dans sa lignée et s'impose comme une jolie réussite de cinéma. On reconnait assez vite les thématiques chères à Dan comme ce regard qu'il porte sur une société carnassière qui transforme la décence en vilenie et où ses personnages en sont réduit à des charognards près à tout pour parvenir à leur but. Une société rongée par la crise où le travail se fait rare et les lendemains sont de plus en plus sombre.Tout ça prend forme dans une histoire au final assez simple qui mise avant tout sur son étude de personnages.


Dan Gilroy ne cache pas son amour des névrosés et on suit une personnalité over the top qui ne correspond pas vraiment au monde dans lequel on vit. Dans Nightcrawler il nous faisait suivre un sociopathe qui se nourrissait de la fascination morbide des gens pour gagner sa vie et se transformait en parfaite parodie du monde moderne tandis qu'ici on va suivre une des victimes de ce monde. Une personne issue d'un passé révolu, aux idées et au style jugés dépassés où le révolutionnaire d'hier devient le has been de demain. A quoi bon lutter au nom de la déchéance et de l'ingratitude ? C'est la question paradoxale que pose le film en suivant le déchéance de son héros qui remet en question ses convictions pour trouver enfin une forme de considération. Encore une fois, la criminalité devient la seule réponse au travers de la société mais là où il était d'un nihilisme terrifiant dans Nightcrawler, Dan Gilroy embrasse ici une voie plus militante. Que ce soit par la finesse de ses dialogues ou le portrait de personnages attachants et solides, il brosse une réflexion pertinente sur le mode de vie actuel et sur le paradoxe d'une société qui à travers sa lutte d'égalité et de reconnaissance en oublie l'essentiel, se respecter soi-même et les autres.


Qu'importe ici que le récit en devienne un peu prévisible ou que la narration soit un peu trop linéaire ce qui crée un sérieux ventre mou car Roman J. Israel, Esq. s'impose avec une écriture intelligente et habile qui propose des réflexions souvent passionnantes. Ajouté avec ça un très bon casting, dominé par un Denzel Washington impressionnant dans son jeu névrosé et d'une justesse sidérante. Surtout qu'il est aussi accompagné d'un Colin Farrell impeccable et d'une excellente Carmen Ejogo pour compléter le tout. La réalisation quand à elle se montre assez générique. La photographie n'est pas des plus inspirée tandis que le montage ne brille pas vraiment par son audace. La mise en scène s'avère classique et plus là pour appuyer le récit et donner la place aux acteurs pour vraiment s'exprimer. Dan Gilroy n'a pas ce regard aussi aiguisé que lorsqu'il plongeant dans les méandres dans la télé à sensation mais il s'en sort convenablement. Il montre être un réalisateur solide même si il ne semble pas particulièrement intéressé dans le fait de transcender son scénario par l'image.


Roman J. Israel, Esq est un très bon film. Il souffre un peu des mêmes défauts que Nightcrawler, à savoir une réalisation assez générique et un récit un brin prévisible. Et dénué de son rapport aux images, on sent que Dan Gilroy se montre moins inspiré dans sa mise en scène qui s'avère pourtant convenable. Mais on ne peut passer à côté des immenses forces de ce film qui pose définitivement Dan Gilroy comme un scénariste hors pair et un cinéaste foisonnant. D'une richesse thématique sidérante, incroyablement intelligent dans ses dialogues et son étude de personnages en plus d'être servi par un casting hors pair, Roman J. Israel, Esq est une oeuvre pertinente sur les dérives de la société actuelle qui est d'autant plus admirable dans sa façon de ne jamais céder à la facilité.

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le 14 mars 2018

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