L'Âge des ténèbres par zeugme
Je sens confusément que vous donner mon avis ne vous suffit pas pour régler votre vie culturelle. Quelque part, ce manque de discernement me fait parfois bien braire, surtout quand j'aimerais bien que mon avis éclairé fasse l'unanimité. Mais non, il faut toujours un emplumé pour ne pas être d'accord pour des raisons qui vont de l'avis objectif (haha) à la simplicité volontaire intellectuelle (ou simplisme).
Du coup, n'ayant pas les talents de Grouick pour vendre ma soupe ou la horde de zébus domestiqués de Senscritchaiev pour me soutenir d'emblée, je suis obligé de mouiller le maillot pour partager mon point de vue éclairé. Un peu chiant quand même, mais j'ai souvent du temps à perdre vers deux heures du matin (une vie intérieure riche, quoi).
Aujourd'hui, on (ne) réhabilite(ra pas) un film qu'une horde de ratés a qualifié de crépusculaire (une façon aimable de dire que Arcand serait gâteux et que ça se sent).
J'y repense et j'ai des envies de lancer des briques.
A défaut d'être convaincant ou talentueux, expliquons pourquoi j'aime du fond du coeur ce film en allant en dénigrer un tas d'autres :
Dans une bonne partie du cinéma moderne, le héros - quand il s'agit vraiment d'un mec identifié comme un héros, pas comme dans un film des Coen ou l'on peut d'avantage parler de protagoniste - à quelque chose de plutôt insultant pour le spectateur.
Ouais, dans les films "À la Stantham", je sais pas si tu sais, ami spectateur, mais on te traite d'impuissant à longueur de temps. Dans tous ces films de merde, le héros surmonte des problèmes qui sont essentiellement d'ordre physique. Et puisque le héros en vient à bout, la morale inconsciente serait un peu "Quand on veut on peut, si toi t'es pas un héros, c'est parce que tu veux pas et que t'as rien dans le slip".
Tiré par les cheveux ?
Mate tous les films de superhéros. A grand pouvoir, grande responsabilité ? T'as pas de pouvoirs, t'es qu'une merde irresponsable, donc ? Hop, on te balance en enfance. Laisse Wolverine faire le boulot, homme ordinaire, les vrais s'occupent de tout. Mate Batman. Les gens ordinaires sont des merdes, c'est officiel. Lui fait le noble sacrifice de faire le boulot à notre place. Critère de sélection : il peut tabasser cinq types à lui tout seul au fond d'une geôle chinoise. Bon, y'a bien la scène du bateau dans le deux, mais on s'entend pour dire que c'est une scène bateau parce qu'on sait tous dans la vraie vie que les types du bateau qui sont des simples civils vont toujours faire péter les taulards. Si c'était pas le monde d'enfoirés dans lequel on vit, les anciens taulards pourraient trouver un boulot sans porter leur truc à perpétuité (rêve pas, quoi).
James Bond et compagnie, kif-kif. Des modèles irréalistes et régressif qui te plongent dans la peau de l'enfant qui croit que ses parents sont tout-puissants. Le petit délire où tu peux être le plus fort de très loin et tuer des méchants par paquets de vingt s'arrête à chaque passage dans le monde réel. Pour en revenir à Spiderman, y'a bien ce passage dans le 2 ou les simples citoyens se mettent devant le méchant pour protéger le jeune. Mais soyons honnêtes, ils se font tous éclater trois secondes plus tard et c'est à Spidey de faire le boulot quand même.
Dans la vraie vie, les épreuves ne sont pas de cet ordre là de toutes façons. Avoir les talents de Daniel Craig quand ta femme se barre avec tes enfants, bof, moyen. Ou des griffes rétractables quand tu te débats avec une dépendance au jeu, génial.
Oui, je sais, on va voir un X-Men 23 pour voir de la castagne, mais de la castagne idéalisée et délirante de cartoon. Mais dans la vie, la castagne, c'est un an d'entrainement de fou pour une heure de coups (avec des pauses). Et je te dis une heure, essaye de te battre en vrai avec un type entraîné pendant CINQ minutes et revient m'en parler. C'est de la castagne de dessin animé, parce t'es encore un gosse qui aime voir la fille dans Iron Man 2 qui envoie un mec à deux mètres de là d'un simple coup de pied. Ben ouais, elle se bat avec un réacteur d'avion attaché dans le dos, fatal.
Or, donc, nos vies quotidiennes demandent parfois de l'héroïsme, du vrai : ne pas troncher une autre que notre bonne femme, ne pas planter un coup de couteau dans le dos d'un collègue pour gagner un avantage, assumer notre lâcheté et interrompre les trois branleurs qui taxent un gamin, pas mentir à nos propres gosses par facilité et j'en passe.
Faire un film qui tâche avec ça, c'est plus balaise. Dans la vie de bureau ordinaire, y'a pas trop de mecs qui défoncent des vitres aux cinq minutes (bon, si, quand on bosse dans la section psychiatrie d'un hôpital mais là c'est volontairement que les mecs le font).
Tout ça pour dire que dans ce film, y'a un vrai héros. Un héros du genre que tout le monde peut être. Le mec, là, s'est inventé un monde imaginaire pour faire face à sa vie désespérante. Truc banal, tout le monde part un peu dans des trips alternatifs où il est le plus hot, le plus cool, le plus admiré avec juste un peu plus de couilles, de talent et de tchatche. Mais lui, il est carrément de l'ordre du mécanisme de défense freudien. Il part constamment dans son truc dès que la vie le fait chier. Et comme ça il tient, il joue son rôle de pourvoyeur, de père, de mari. Même si sa vie le fait chier.
Et puis un jour, il est confronté à ses fantasmes. Et c'est là qu'il se comporte en héros, en assumant que c'est de la merde tout ça.
Évidement, les connards qui écoutent Arcade Fire en se disant qu'on vient d'inventer un truc qui s'appelle la musique quelque part au milieu du vingtième-siècle, ces connards se sont dit la fin est régressive, conservatrice, moralisante.
Le truc c'est que le mec vient de rejeter son mécanisme de défense de toujours, le truc qui l'aidait à pas se flinguer. Alors forcément, quand le film se finit, il est pas encore à la conquête du monde en train de se taper Wall Street à lui tout seul et toutes les bonasses aux bras. Non, comme Candide, il retourne au jardin, genre. Le temps - les mecs étaient pas capable de piger ça - de se reconstruire, pour pouvoir faire face.
Évidement, le blaireau moyen qui s'est pas remis fondamentalement en question dans sa vie peut se dire "ouais, bon, vas-y, t'as compris eh ben change et c'est réglé". Forcément blaireau, c'est pour ça que le lendemain de la prise de conscience d'un alcoolique, généralement, c'est tout réglé et on a Monsieur Propre à la place.
A pleurer.
Bref, L'âge des ténèbres est un film sur un type qui se prend en main au mitan de sa vie. Sa vie est nulle, il est entouré de cons, d'hypocrites, de minables et d'empêcheurs de tourner en rond, mais il accepte qu'il doit faire sa part. Et c'est beau.
Les scènes de grandeur nature ne sont pas longues (au début on pourrait le penser), elles sont nécessaires au personnage pour réaliser la vacuité de son rêve : quand il le voit "en vrai", il trouve ça ridicule. Par extension, son délire permanent aussi. Évidement, compris cela, il hésite à quand même se laisser aller (et puis phoque, j'ai bien le droit d'être heureux).
Bref, dans ce film le personnage de Marc Labrèche a plus de couilles que tous les films de Liam Neeson, Stantham et Dwayne Johnson réunis. Sauf qu'il ne file de coup de pied à personne (hélas).
Il y a là un vrai défi au spectateur, qui est le même que dans toutes les bonnes histoires de gars qui font ce qui est bien : fais-en donc autant. Sauf que là c'est réaliste, c'est filmé avec une certaine tendresse, un cynisme de vieux pas content (la scène abusée dans l'autobus ou TOUT le monde à un truc sur la tête pour ne surtout pas entrer en contact avec les autres) qui nous fait les gros yeux et des plans qui prennent le temps de dire "Vie de merde".
Évidement, on peut aimer Blade 2 aussi. La limite qui sépare l'homme de goût du parfait con n'est pas dans ce film là. Elle est dans le trois, quand la fille se bat avec son ipod à fond sur les oreilles (et ta soeur ?).
J'ai convaincu personne, mais au moins j'ai pu cracher mon ressentiment, ça va mieux, merci SensCritique.
Tiens, je viens de trouver : L'âge des ténèbres vous montre un héros que vous pouvez tous être, au lieux de faux héros infantiles de mondes qui n'existeront jamais,