En tant qu'amateur de films étranges et d'expériences cinématographiques bizarres j'ai immédiatement eu envie de voir L'ami du Jardin de Jean-Louis Bouchaud en découvrant son pitch pété du casque et l'anonymat profond dans lequel il semble s'être perdu 20 ans après sa sortie. La curiosité est un vilain défaut mais aussi une formidable façon de découvrir des petites merveilles étrangement oubliés de tous comme ce film étrange certes bourré de défauts mais regorgeant aussi de choses formidables.
Le film nous plonge dans une petite ville de province avec la mort d'un notable du cru qui s'est pendu dans son grenier. Pour sa femme qui découvre le corps, le meurtre est l'œuvre d'un de ses nombreux nains de jardin. Etrange coïncidence ou ironie du sort le lendemain un nain vient s'installer dans le village alors qu'une série de meurtres étranges commencent à affoler la tranquillité de la police locale.
Avant toutes choses je vais relativiser un peu ma note et mon enthousiasme tant le plaisir de découvrir cette petit pépite me remplit d'une joie juvénile et débordante de la partager. L'ami du Jardin est loin d'être exempt de tout défauts à commencer par certains personnages à la fois trop caricaturaux et mal servis par les acteurs qui les incarnent et surtout un scénario foutraque et bordélique qui semble avoir du mal à canaliser ses nombreuses bonnes idées en une histoire rectiligne. Pourtant moi qui n'attendais rien de spécial, moi qui craignait le pire avec une comédie lourdingue et poussive sur un nain face aux à priori d'une ville de province le tout emballé dans un format de téléfilm torché n'importe comment et bien j'ai beaucoup aimé le film. L'ami du Jardin baigne dans une ambiance étrange, grotesque et absurde comme si ce village de Beugneux semblait sortir à la fois d'un canton de Groland et de cette bourgeoisie provinciale si chère à Chabrol. Le film baigne dans un humour décalé, méchant, lunaire et surréaliste avec une fabuleuse galerie de personnages étranges comme une bimbo de boîte de nuit, une aveugle dont l'intérieur est rempli de cadres de travers avec des autoportraits approximatifs , un flic flegmatique jusqu'à l'absurde interprété par le regretté Christophe Salengro , un jeune flic très con plein de préjugés voulant pourtant s'ouvrir à la culture interprété par Christophe Alévêque ou un père de famille (Gerard Jugnot) luttant contre l'impérialisme de Disney auprès de son fiston qui regarde Blanche Neige. La liste est encore longue tant ce village semble abriter une belle communauté de joyeux cintrés entre les piliers de bars, les membres de la petite bourgeoisie le tout étant joyeusement interprété par une belle brochette de comédiens et comédiennes avec Chick Ortega, Yolande Moreau très drôle en bourgeoise, Claire Nadeau, Sylvie Jolie, Antoine Chappey ou Hubert Saint-Macary ; en revanche point de Richard Bohringer comme le stipule la fiche du film. Quant au comédien principal Jean Yves Tual il ne semble malheureusement pas toujours très à l'aise et manque d'épaisseur avec son personnage même si il incarne une parfaite figure d'homme ordinaire moqué et vu comme un monstre. En revanche Didier Becchetti en fait vraiment des tonnes en petite frappe local au point que son personnage devienne assez vite agaçant et même embarrassant. Même si le film ne fait pas toujours dans la dentelle il est le plus souvent très drôle en allant nicher son humour jusque dans la une de certains journaux qui apparaissent à l'écran comme celle révélant le destin hilarant de Mike Brant. Un humour qui sait parfois se faire plus féroce lorsque cette curieuse intrigue réveille de vieux démons d'ignorance, de bêtise et de racisme ordinaire propre à enflammer une vindicte populaire en souvenir des bonnes vieilles ratonades d'antan.
La plus belle surprise que m'aura réservé L'ami du Jardin vient de sa mise en scène extrêmement stylisé et inspiré. Le film qui date de deux ans avant Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain baigne pourtant parfois dans cette même ambiance poétique et étrange fait de bric et de brocs magnifié par un travail sur les lumières et des couleurs et filtres très prononcées. C'est tellement marquant (en plus de cette histoire de nain de jardins) que j'ai vraiment cru que le film de Jean-Louis Bouchaud parodiait l'univers de Jean Pierre Jeunet. Si la mise en scène n'est pas toujours très inspiré le film bascule parfois vers des ambiances plus étranges comme une décapitation dans une église stylisée comme dans un giallo , une scène digne d'un conte de fées étranges avec des champignons géants ou une vindicte populaire d'homme avec des torches poursuivant dans la nuit et à travers bois et cimetière notre brave nain comme dans un final de grand film de monstres tragiques à la Universal. Parfois le film est plus plan plan et certaines scènes fonctionnent moins bien mais dans l'ensemble L'Ami Du Jardin s'appuie sur un univers riche et une vraie recherche de mise en scène. Cette singulière histoire entre conte de fées absurdes et fait divers se termine sur un plan tragi comique achevant l'originalité de ce singulier petit film.
Jean-Louis Bouchaud semble avoir totalement disparu des radars depuis ce premier film qui était pourtant riche en promesses et singularité. Sensiblement à la même époque Fabien Onteniente sortait son premier film et depuis il nous abreuve régulièrement de ses films médiocres, cherchez l'erreur !! En tout cas L'Ami Du Jardin est un Little Big Movie et un sacré ovni dont je suis devenu immédiatement un little big fan particulièrement heureux de le sortir un peu de l'oubli sur Sens Critique.