L'ami retrouvé de Jerry Schatzberg est l'adaptation au cinéma du roman du même nom écrit par Fred Uhlman. L'écrit d'une centaine de page est à mi- chemin entre le roman et la nouvelle. Le film comme le roman restitue l'ambiance à Stuttgart peu avant la prise de pouvoir des nazis en Allemagne. Ils retracent l'un comme l'autre, sans simplification mais parfois de manière un peu sommaire des situations vécues par un adolescent allemand de confession juive dans une environnement qui voit monter peu à peu l'antisémitisme dans son pays.
Le docteur Strauss est un médecin, notable de la ville, vétéran de la Première guerre mondiale, décoré de la Croix de guerre 1ère classe. La montée du nazisme ne l'inquiète pas car, se définissant d'abord comme un citoyen allemand, il ne prend pas la pleine mesure de la portée des discours antisémites. Il est dans ce sens parfaitement représentatif de la majorité des allemands de confession israélite qui pendant longtemps considérait que certains d'entre eux s'alarmaient à tort.
La comtesse von Lohenburg/ Françoise Fabian fait partie de cette aristocratie allemande qui a tôt rallié le nazisme par tradition élitiste ou peur du complot judéo-bolchévique.
Le jeune comte Konrad von Lohenburg est un adolescent, lycéen, qui se lie d'amitié avec son condisciple Hans Strauss. Amitié d'abord insouciante qui ne peut plus ignorer très longtemps un environnement qui mettra leur amitié en cause. Du rejet de l'ami juif par les parents de Konrad jusqu'à la cousine, qui s'étonne de ne pas trouver évidente la judéité de Hans dont l'appendice nasal ne correspond pas aux canons de représentation qu'elle prête sans doute aux juifs, la place de Hans se dessine peu à peu.
Avant de se donner la mort, les parents de Hans choisissent de soustraire leur fils à cette ambiance mortifère en l'envoyant à New-York où réside un oncle. Konrad de Lohenburg deviendra militaire et officier dans la Wehrmacht selon la tradition familiale. Konrad n'était pas nazi et pourtant partie prenante de l'espoir de voir son pays, affaibli par le traité de Versailles et le tribut exorbitant exigé de l'Allemagne, retrouver sa grandeur.
Cinquante ans après être parti aux Etat-Unis, Hans Strauss/Jason Robards devenu avocat revient à Stuttgart et tente de savoir ce que l'ami perdu est devenu. L'Allemagne des années 80 n'est plus l'Allemagne des années 30 même si en filigrane parfois...
L'ami retrouvé a plusieurs mérites qu'il appartiendra à chacun de nous de discerner. Il en est un, même s'il est un sommairement traité, qui me paraît particulièrement important : la vision clivée de la réalité de Konrad et du docteur Strauss.
Le jeune Konrad s'engage dans la Wehrmacht parce qu'il souhaite sincèrement que son pays retrouve sa place et il se persuade que l'action militaire contre un ennemi conventionnel désigné comme la cause de tous les malheurs est la réponse adaptée. Il est dans le déni quand il refuse de voir que dans ce que Hitler propose, il y a surtout la destruction du judaïsme qui serait le grand marionnettiste et l'asservissement des populations de l'Est de l'Europe pour assouvir une volonté de domination.
Le docteur Strauss est lui également dans le déni. Il ne peut imaginer que la société allemande puisse voir autre chose en lui que le notable, patriote et héros décoré de la guerre. Ce statut honorable et honoré efface à ses yeux totalement sa judéité même si tous les discours et agissements des nazis attestent d'un antisémitisme virulent.
Le roman/nouvelle de Fred Uhlman et le film de Jerry Schatzberg sont des documents largement utilisés par les professeurs d'histoire. J'ai presque envie de dire qu'ils renouent ainsi avec leurs élèves avec la tradition qui était celle des années 70 avec les Dossiers de l'écran, quand à partir d'un film, Armand Jammot et Alain Jérôme réunissaient un plateau d'experts et de grand témoins pour le plus grand bonheur et l'édification de millions de téléspectateurs.
Je regrette toutefois l'utilisation de bandes d'actualités d'époque de manière intempestive et en décalage quasi permanent. C'est un exercice redoutable quand il est mal dosé et surtout utilisé à mauvais escient. Je pense en particulier à ces extraits de la harangue d'un juge nazi du Volksgerichtshof (Tribunal du peuple) qui jugeait les allemands accusés de haute trahison et à une scène d'exécution de sentence par pendaison. Intercalés sans explications et sans traduction, il faut être germaniste averti et historien pour réaliser qu'il s'agit du procès et de l'exécution du colonel Klaus von Stauffenberg qui avait posé la bombe de l'opération Walkyrie contre Hitler et découvrir presque subitement que Konrad, l'ami retrouvé c'était lui.