Premier film allemand signé Jan Schomburg, L'Amour et rien d'autre s'inscrit assez naturellement dans la mouvance du renouveau du cinéma germanophone, caractérisé par l'épure, l'absence de psychologie et une certaine recherche formelle. Cette œuvre inaugurale s'avère déconcertante et singulière, laissant au spectateur une large place pour forger sa propre interprétation et tenter de remplir à sa guise les creux et les imprécisions volontaires d'un scénario abstrait. Le parcours de Martha obéit à des règles et des principes qu'on pressent et subodore davantage qu'ils ne nous sont explicités, mais ce sont bien le flou et la relative complexité se dégageant de l'ensemble, sans doute par moments de façon trop appuyée et volontariste, qui rendent L'Amour et rien d'autre curieux et intéressant.

Sans volonté d'être réaliste, le film s'apparente à une variation intellectualisée sur le sentiment amoureux, comment il se perpétue ou au contraire disparaît ou se transforme lorsque l'être aimé n'est plus. Pour Martha, la mort de Paul son mari est sans doute un choc énorme mais sa conception de l'amour l'amène dans un premier temps au déni total – d'où l'impossibilité du deuil et du chagrin – puis assez rapidement à engager une nouvelle histoire qui n'est au fond que la continuation de la première dans un transfert pour le coup très freudien. Ici ce n'est pas tant l'être chéri qui est primordial, puisqu'il est au demeurant interchangeable, mais l'image et le fantasme projetés sur lui. Une scène apparemment anodine, une soirée dans un bar, contient pourtant le sujet dialectique du film : une conversation aboutit à associer amour et fascisme, c'est-à-dire dictature des sentiments, soumission plus ou moins consciente d'une part et façonnage plus ou moins fantasmé d'autre part. La répétition des scènes et des circonstances offre dès lors un troublant continuum et dissipe du coup le refuge du déni, à partir de l'instant où Paul est substitué par un nouveau venu, particulièrement souple et prêt à endosser le rôle sans trop poser de questions, du moins au départ.

La comédienne Sandra Hüller est une habituée des compositions de déséquilibrée, de femme au bord de la folie ou en marge des comportements raisonnables ou conventionnels. Elle donne au personnage de Martha une froideur et une capacité à manipuler très inquiétantes, tout en lui conservant d'importantes zones d'ombre. Dans des décors froids aux architectures rectilignes, baignés d'une lumière blanche et froide, presque clinique, L'Amour et rien d'autre retient l'attention parce qu'il déconcerte et emprunte des chemins pas toujours balisés, loin des clichés attendus sur le deuil et l'éternité de l'amour. La collision entre une forme rigoureuse et désincarnée en apparence et un fond où affleurent la folie et la déraison donne naissance à une œuvre inhabituelle, qui ne cherche pas à plaire et place le spectateur dans l'inconfort, ce qui n'est pas le moindre de ses atouts.
PatrickBraganti
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le 23 avr. 2012

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