La meilleure façon de tenter de juger un film à sa juste valeur, lorsqu’on a des réserves, est de l’imaginer comme n’appartenant pas à une cinéaste de référence. Lorsqu’il est bon, les réseaux qu’il tisse avec les autres chefs-d’œuvre font sens. Dans le cas contraire, chercher à justifier les faiblesses du nouvel opus par la grandeur passée relève de l’alibi.
Certes, on retrouve bien des obsessions de Cimino dans cette œuvre. Le triangle amoureux, ou, pour une fois, deux femmes se disputent le même homme, les traumatismes du Viet Nam ou l’intégration des communautés broyées à l’origine par l’Amérique irriguent le film et sont même susceptible de lui donner une certaine épaisseur par instant. Certains passages humoristiques (les nones à l’écoute pour traduire le dialecte chinois ou la scène où il cherche vainement des toilettes disponibles pour massacrer son ennemi) permettent une variation des registres plutôt bienvenue.
On reconnaitra aussi le talent de celui qui dirige la caméra. Le regard sur la foule, la cohabitation de l’individu et d’un quartier grouillant occasionne de belles séquences, et l’on retrouve ce gout prononcé de Cimino pour le folklore et les rites : défilés, enterrements, costumes ouvrent et ferment son film, (jusqu’à la bien dispensable séquence en Indonésie, où l’on a peine à comprendre la mobilisation de tous ses figurants pour un plan d’une minute, si ce n’est pas sursaut mégalo du cinéaste pourtant échaudé par le bide de La Porte du Paradis…)
Il n’empêche. Outre le fait que l’intrigue soit éculée, sorte d’Incorruptibles sauce nem, ce sont d’abord les excès en tous genres qui souillent l’ensemble. Du jeu de Rourke, pour commencer, bad boy low cost qui pense qu’incliner son chapeau et grisonner sa tignasse suffit à faire de lui un personnage. Des querelles de couple aussi convaincantes qu’une publicité pour Mir Express, surjouées, surexplicites (bouh, tu ne me baises pas alors que j’ovule, tu vas voir le mafieux pendant que tu m’invites au restaurant, etc, etc…). Et, sommet dans le kitsch, un amour vache et pseudo raciste ou je te gifle et je te baise ave la cohérence d’un Aldo Maccione. Oui, l’appartement est sublime, mais là aussi, l’esthétique clipesque ne fait qu’ajouter au moulin de l’indigence.
Donc, non. Film daté, film outrancier, L’Année du Dragon gagne à ne pas être revu pour conserver le petit charme qu’il eut en son temps, et surtout à ne pas être comparé aux chefs-d’œuvre qui précèdent dans la filmo de Cimino, en tout cas en ce qui me concerne : je divise tout de même sa note par deux.
Sergent_Pepper
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le 27 juin 2014

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