Alors qu’ils s’étaient essayés au film de loup garou dans Teddy, les frères Boukherma sont de retour avec un autre genre bien trempé, celui appartenant au requin. Le même principe est ici mis en place, soit une déclinaison locale (et rurale) d’un motif généralement cantonné à la mythologie américaine, pour une mise en tension qui va jouer sur des contradictions apparemment assez fertiles.
Le modèle fondateur des Dents de la mer est ainsi convoqué sans complexes : l’intrigue, particulièrement dans la première moitié, est rigoureusement identique (attaques, incrédulité des autorités, pression des commerçants, figure esseulée d’un représentant de l’ordre), à la différence qu’une femme a pris le rôle principal, une Marina Foïs qui nourrit avec une simplicité parfois désarmante sa vocation et l’honneur des derniers jours de son service pour la patrie. Insufflé dans cet univers balisé par Spielberg, on garde toujours en ligne de mire le territoire investi, que ce soit dans ses invariants (la simplicité, la franchise, la critique des Parisiens) ou des références à l’actualité lorsqu’on fustige les écolos, les mesures sanitaires ou l’esprit woke. Cette idée de renouveler les enjeux pourrait s’avérer payante, mais elle nourrit surtout le sentiment général à l’égard d’un film qui ne cesse d’être bancal. La rengaine de La kiffance qui accompagne certaines images de plage en est symptomatique : difficile de déterminer la part de parodie, de critique sociale, de condescendance ou de tendresse à l’égard de personnages qui, pour la plupart, n’ont pas assez de présence pour réellement exister. Intégrer des caractères et une diction directement issus du cinéma de Bruno Dumont garantit certes un étonnement initial, mais on peine à définir les directions que se fixent les réalisateurs et le propos qu’ils cherchent à construire. Sur l’intrigue générale, le modèle Jaws pèse très lourdement, et s’ils ne déméritent pas en termes de mise en scène (la dernière partie, sur l’affrontement direct, gagne en efficacité), ils n’ont ni l’inventivité, ni l’ambition du récit fondateur. Restent quelques images frappantes (Marina Foïs accumulant les barquettes de viande sur un tapis de caisse dans un supermarché, par exemple) et un seul personnage à qui on accorde une véritable empathie, à savoir celui incarné par Kad Merad.
Il serait pourtant parfaitement stupide de décourager ce type d’initiative : l’idée de marier cinéma national et genre secoue avec pertinence sa diversité, et les multiples essais ces dernières années témoignent d’une bonne santé de sa jeune garde. Reste que cet essai risque de lui faire du tort, vu la manière dont il a été vendu, grâce à un cast bankable et la traditionnelle affiche jaune et bleue réservée à la comédie française grand public. « Tout ça était trop grand pour la Pointe », résume à la fin le narrateur : pour le film aussi, sans doute. Espérons que cette tasse bue ne noiera pas l’ambition vivaces des frères Boukherma.
(5.5/10)