... C'est impossible de ne pas avoir peur quand on va mourir. C'est parce que je suis trop borné, trop animal pour y croire. Et si je n'y crois pas jusqu'au dernier instant, jusqu'à la plus fine limite, je ne mourrai jamais. Quelle découverte ! et comme elle plairait au patron !
Pfiou, quel film, digne d'être hissé aux côtés de ceux que je reverrai avec beaucoup de plaisir et qui sont donc, de ce fait, dans le haut de mon classement perso. De Melville, je n'avais vu que Le Samourai qui m'avait vraiment ébloui par une photographie et un sens du cadre à toute épreuve. Avec l'Armée des ombres, il confirme son oeil d'or, en donnant vie à des ambiances glaçantes, ambiances parfaites pour développer son propos qui est de faire la part belle aux hommes et femmes qui composaient la résistance française pendant la seconde guerre mondiale.
Je ne suis pas un grand spécialiste du cinéma français, mais j'ai rarement vu film sur la résistance aussi bien traité et surtout si réaliste. Ici, il n'est jamais question de faire du sensationnel, tout est affaire de psychologie et le choix de tout faire passer par les hommes et leurs actes est génial. On est touché tour à tour par ses destins qui se croisent, ses hommes aux principes inflexibles et au courage hors norme, qui ne peuvent rester de marbre face à ce qui se trame dans leur pays. Pour réussir ce pari fou de laisser le film se construire uniquement à travers des dialogues, des face à face, il fallait évidemment trouver des acteurs au charisme suffisant pour faire passer le message sans qu'ils en fassent de trop. Ventura est parfait en leader impassible et au sang polaire, il est Philippe Gerbier, sous chef de la résistance, on en doute pas un seul instant puisque de toute façon on est admiratif du personnage dès le premier quart d'heure du film. Les autres acteurs sont également dans le ton, que ce soit Simone Signoret dont je découvre l'applomb avec ce film ou encore toute la pléïade de seconds rôles qui nous offrent de jolis moment, comme cette relation fraternelle toute en subtilité entre Jean Pierre Cassel et Paul Meurisse.
Ce qui est virtuose pour moi dans ce film, en dehors de toute cette direction d'acteurs hors norme, c'est également le fait que Melville sait quand il faut faire parler la poudre. Peu de morts ponctuent le film, mais quand elles arrivent c'est froidement, brusquement sans qu'on les attende. Cette première scène par exemple ou Ventura égorge la sentinelle est d'une violence extrême puisque très soudaine et témoigne vraiment de ce qu'étaient ses hommes de la résistance, réactifs et sans hésitation. Dès cette scène le personnage de Ventura se façonne un manteau de charisme qu'il n’ôtera plus jamais et offre à la résistance un visage efficace et sans faille.
Le seul reproche que je ferai au film est un déroulement de son script dont je n'ai pas trop compris l'intérêt et qui concerne Jean-François, lorsque ce dernier écrit une lettre à la Gestapo pour se livrer et se faire enfermer avec Felix. Ca m’a un peu fait tiquer sur le coup, c’est dommage, sans ça c’était un sans faute pour moi.
Surtout que le film a pour lui une qualité qui suffit à mon bonheur, une photographie vraiment sublime. Les couleurs sont froides, dans le ton du film, ni plus, ni moins, et surtout que d’ambiances en faible lumière superbement gérées. On est balloté entre des scènes nocturnes du plus bel effet ou des passages en intérieur, rideaux tirés pour plus de discrétion qui sont juste à tomber par terre. A chaque plan ou presque, je n’arrêtais pas de me dire, punaise, graphiquement ce film est superbe. Ce sens du cadre associé à une sensibilité toujours juste dans la réalisation finit de faire du film une œuvre de haut niveau.