L'armée des ombres est sans doutes le film le plus fidèle à la réalité des résistants. Au quotidien, pas ou peu d'action. La peur permanente d'être arrêté, à cause d'une dénonciation ou d'un malheureux hasard. Les changements incessants d'adresse et d'identité, la peur d'être dénoncé, l'impossibilité de se confier à ses proches, tout cela transparaît avec une très grande force.
L'armée des ombres, c'est l'hommage à la trouille incarnée, mais transcendée par la certitude d'agir pour une cause juste, y compris lorsqu'il faut se salir les mains. La distribution contribue de façon magistrale à l'ensemble, tous les acteurs sont excellents : souvent les paroles sont inutiles, les visages et les corps transmettent toutes les émotions. La scène muette où Lino Ventura entre dans un dancing londonien en est le parfait exemple.
Pour servir le propos, pas de mouvements de caméra spectaculaires (encore que le long travelling suivant le trottoir, quand le personnage de Ventura s'évade au début du film, vaut le détour), mais de long plans oppressant. Lors de la tentative d'exfiltration d'un résistant de la kommandantur de Lyon, par exemple, il y a un long plan fixe sur la porte, encadrée par deux soldats allemands dans leur logette. Ce type de plan pourrait sembler tout à fait banal en capture d'écran, et pourtant, dans le contexte du film, il retranscrit toute la tension et apporte une haute dose de suspens.
La photo, tout en nuances de bruns et de gris, sert la noirceur du film. Le montage est à la hauteur.
A la vision des bonus du DVD, on perçoit Jean-Pierre Melville comme un personnage odieux : il manipule ses acteurs, fait montre d'une incroyable mauvaise foi, embarque sa monteuse dans une tournée pour modifier le montage du film le jour de la sortie (sur les copies distribuées en salle, donc)... Un perfectionniste, dirais-je.