"L'Armée des ombres" de Jean-Pierre Melville est l'un de ces films qui marquent au fer rouge.
Tout est dans l'ambiance. Sombre, glauque parfois, toujours triste et dure. Comme la vision de la Résistance qui y est présentée. Au-delà des aspects héroïques vantés par l'Histoire, une histoire d'anonymes, ou presque, froids et résignés à la violence, non par nature, mais par la nécessité de la guerre. Aucune paillette. Juste des réalités difficiles.
Tout le film est imprégné de cette tension extrême, liée à l'insondable précarité de l'existence des résistants, qui tient à si peu de choses.
Une dénonciation, une course, une photo...
Et une nécessaire et implacable discipline au sein même du réseau. L'exécution d'un traître, l'une des scènes les plus terribles qu'il m'ait été donné de voir. Aucune place pour la pitié, et une jeunesse qui s'éteint, immolée aux nécessités du conflit. Sacrifiée pour avoir laissé un espace à la faiblesse.
Des fratricides froids et brutaux, incompris, humainement injustifiables, mais entrant pourtant dans la mécanique glaciale exigée par la guerre secrète. Une mécanique qui broie les hommes, sans exception, d'abord par leur âme, puis par leur corps, car ils ne sont que des pions au service d'une cause qui les dépasse et que pourtant ils ont épousée, sciemment.
Ce sont des hommes inconnus. Secrets, des hommes qui ne sont pas ce qu'ils paraissent, et ne paraissent pas ce qu'ils sont. Luc Jardie, Jean-François, Gerbier, des personnes à l'identité multiple, dont eux seuls détiennent toutes les clés, et qui ne donnent aux autres que des illusions. De grandeur, de force, de lâcheté, de félonie. Rien que des illusions.
Une Armée d'ombres, qui nous ouvre les yeux sur une réalité obscure, sinistre.