Le vieil ours et le jeune cabot
C’est le deuxième film de ces deux photographes, Tizza Covi, née en Italie et qui a vécu à Paris et à Berlin, et Rainer Frimmel, autrichien qui a travaillé à Rome, Paris et New York, associés depuis 2002 dans une société de production qui leur garantit indépendance. Après La Pivellina, en 2009, histoire d’une fillette abandonnée recueillie par un couple d’artistes de cirque vivant dans la périphérie romaine, le duo de cinéastes poursuit avec L’éclat du jour son travail sur l’envers du décor et sur la porosité entre fiction et documentaire. Nous retrouvons l’artiste circassien Walter Saabel aujourd’hui sans activité et dans une situation qu’on suppose précaire et compliquée, qui joue le rôle de l’oncle de Philipp Hochmair, lui-même un acteur de théâtre reconnu qui se produit sur les scènes de Vienne et de Hambourg où il interprète les rôles majeurs du répertoire. La rencontre des deux parents – l’oncle rend visite à son neveu lors d’une représentation à Hambourg – tient donc de la collision entre deux conceptions du monde, deux manières quasiment opposées et antinomiques d’envisager la perception de l’éclat du jour, c’est-à-dire la façon d’atteindre le bien-être et la plénitude. Ancien dompteur d’ours, Walter est déjà en bout de course, entièrement tourné vers les autres – comme le montre la sollicitude et l’affection qu’il exprime à l’encontre des deux jeunes enfants du voisin de Philipp – alors que le comédien vit totalement pour son art au point d’être en dehors du monde réel, se confondant avec les personnages qu’il compose sur scène. Le garçon est narcissique, empli de son métier qui l’isole des autres : pas d’amis, vie affective inexistante.
Œuvre singulière, presque inconfortable, sans réelle narration – elle n’a réellement ni début ni fin – L’éclat du jour est un film intelligent, imprévisible, qui aborde des thèmes divers comme la place de l’acteur et son rapport au monde, tout en s’inscrivant dans le réel (paupérisation, immigration). Avec ses dialogues globalement improvisés, le film développe un style naturaliste se situant à la frontière de la fiction (le lien familial entre Walter et Philipp) et du documentaire (leurs activités sont celles qu’ils occupent dans la ‘vraie’ vie). Rien n’est jamais appuyé et s’appuie sur une fluidité qui confère à l’ensemble une impression de naturel et de beauté, faisant naitre chez le spectateur une belle émotion et une authentique empathie.