Bouah, ce décrochage de mâchoire en règle, ça fait du bien de se faire secouer comme ça sans sommation. L'enfer des armes, c'est un film punk pur et dur, qui ne s'embarrasse d'aucune bonne morale et n'existe que pour véhiculer, avec violence, un propos qui se fait l'écho d'un réalisateur qui ne peut plus contenir sa fureur. Hark règle ses comptes et dénonce la suffocation dont souffre son pays au travers d'images poisseuses qu'il n'enrobe, à aucun moment, pour les faire passer plus facilement. Non, l'enfer des armes est un film cash, de son début, où la métaphore barbare énonce très clairement ce qu'il pense de l'état de son pays, à sa fin macabre, en plein cimetière, noire en diable.
Partant d'un fait divers qui avait remué la Chine, Hark s'embarque dans une dénonciation politique véhémente. En illustrant une jeunesse en perte de repère, qui s'amuse à poser des bombes dans des cinoches, il touche du doigt la corruption qui empêche la police de faire son job mais surtout l'instabilité politique et économique de son pays, provoqué en grande partie par son statut de plaque tournante en matière de commerce international. On sent le malaise qui touche Hark quand ce dernier évoque, par exemple, la présence d'une criminalité gangrenant les rues de Hong Kong de son anglais parfait.
Mais en tant que spectateur, une fois cette revendication politique ingérée, ce qui frappe dans l'enfer des armes, c'est cette fougue qui ne quitte l'image à aucun moment. Hark possède une énergie redoutable et la distille dans chaque séquence qu'il met en scène. Outre ce final dévastateur qu'il gratifie du meilleur de son savoir-faire, nombreux sont les passages qui restent en mémoire. Et même lorsque Hark se lance dans la simple métaphore, caméra posée, il parvient à trouver dans ses images une telle force de suggestion qu'on grince des dents. Quid en effet de cette scène d'ouverture, caméra braquée sur une cage pleine de souris, dont l'une d'elle se fait épingler le crane, avant de retourner agoniser entre les multiples barreaux qui l'entourent. L'image est marquante, très forte, révoltante, l'ambiance est posée dès les premiers tours de bobine. Puissant.
Cette force suggestive, Hark ne la quitte à aucun moment. L'enfer des armes est marqué par son désespoir autant qu'il l'est par la puissance de son montage. L'enfer des armes n'est que son troisième film, et il est évident que l'homme qui réalisera, 20 ans plus tard, le détonnant Time and Tide, cherchait à ce moment là son style, sa personnalité. Mais c'est ce côté parfois expérimental dans la mise en scène, et le chaos qui règne aussi dans les mouvements de caméra que tente le jeune réalisateur, qui font la puissance de cette péloche peu commune. Par ailleurs, Il est évident que les problèmes qu'a eus Hark avec la censure lorsqu'il a souhaité sortir ce film contribuent à la violence visuelle qui habite ce dernier. Dans cette version director's cut, qui permet de découvrir le film comme l'avait monté originellement le cinéaste, les séquences ayant subi un passage de machette sont d'une qualité déplorable, mais ça continue, à mon sens, de renforcer cette sensation de révolte qui habite l'ensemble.
Une plongée en eau trouble qui possède une puissance indéniable. Rares sont les réalisateurs qui parviennent à allier le côté tranché de leur réflexion avec un travail visuel aussi énergique sans qu'il devienne imbuvable. L'enfer des armes continuera certainement de remuer les amateurs du genre qui le découvriront, car après ces 95 minutes de révolte pure et dure, qui jamais ne nous ménage, il est facile de comprendre pourquoi il constitue une référence évidente du polar HK tel qu'on le connaît aujourd'hui.