Avec le Scarface de Hawks, L’ennemi public fait partie de ces films dits du pré-code, c’est-à-dire crées avant l’arrivée du Code Hays en 1934 et dotés d’une grande liberté de ton. Alors que la pudibonderie et les jeux symboliques devront de multiplier pour les 3 décennies à venir, les réalisateurs profitent de l’absence de garde-fous pour décrire souvent crûment le monde du crime. Certes, un carton initial et final viennent poser une morale sur la valeur de contre-exemple du protagoniste, mais le portrait que propose ce récit est une véritable descente dans les bas-fonds, et surtout dans la tentative de cerner la pure méchanceté d’un homme.


Sa trajectoire commence dès l’enfance, et explique avec une pertinence toute psychologue comment les coups et la rigidité parentales galvanise un jeune garçon qui a le crime dans le sang.
Tout son parcours se fait sur un seul mode : ne jamais considérer la morale comme un obstacle, élargissant progressivement le cercle des personnes qu’il détruit, de sa famille à ses complices, et entraînant la mécanique du pire en termes de violences et de représailles.


L’intérêt de ce portrait est de s’attarder sur un monstre, qui fait certes le mal par intérêt personnel, mais aussi et surtout pour y affirmer son individualité, ce que lui confirmera sa compagne : « You don’t give, you take, you’re strong ». Et c’est là que je joue la véritable et audacieuse violence du film : Powers s’adonne à la gratuité, en tirant sur un ours empaillé lors d’un braquage, en écrasant un pamplemousse sur le visage de sa femme, le tout avec un sourire narquois qui montre aussi la jubilation de James Cagney à interpréter un rôle aussi extrême.


La violence contamine tous les domaines : celui du langage, bien entendu, de la cruauté avec laquelle sont traités les gens mêmes les plus proches, notamment dans le duel formé avec le grand frère, opposé radical et héros patriote, et de la souffrance d’une mère impuissante, mais aussi du langage visuel lui-même.


Les lumières, sont presque expressionnistes, mettent en jeu une obscurité d’une grande densité, et les mouvements d’appareil retranscrivent bien l’âpreté des exactions, que ce soit dans la mise en scène très sèche et dénuée de spectaculaires des exécutions, ou la contre plongée permettant à un camion de littéralement rouler sur la caméra. Mais le raffinement à tuer de Powers est aussi pris en compte, à l’image de cette terrible séquence durant laquelle son comparse doit continuer à jouer au piano tandis que le meurtre symbolique du père spirituel va se dérouler hors champ. La supplication de la victime ("Don’t you have a heart ?") fait d’ailleurs beaucoup penser à celle qu’aura le génial Turturro dans Miller’s Crossing, lorsqu’il répète "listen to your heart"…


Fuite en avant sans possibilité de retour, L’ennemi public fait dont le pari d’une tragédie qui se concentrerait davantage sur la terreur que la pitié : la dernière séquence, presque grotesque, témoigne de ce jusqu’auboutisme dans le règne de l’effroi, et prouve avant tout qu’en terme de barbarie, les hommes rivaliseront toujours d’intensité.

Sergent_Pepper
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le 15 janv. 2018

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