L'Étrange Histoire de Benjamin Button par TheScreenAddict

Comment le réalisateur de Fight Club et Alien 3, le spécialiste du thriller et du fantastique torturés, a-t-il pu se retrouver aux commandes d'une fresque hollywoodienne aussi poignante que L'Étrange Histoire de Benjamin Button ? Si la production américaine nous réserve souvent de mauvaises surprises (rencontre ratée entre Tim Burton et Lewis Carroll), elle nous livre parfois des expériences de cinéma miraculeuses. Ainsi, lorsque David Fincher adapte une nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, où le protagoniste naît vieux pour rajeunir au fur et à mesure qu'il se rapproche de sa mort, c'est à un vrai bijou romanesque, doté d'une mise en scène bouleversante, que l'on a affaire.

Le cinéaste prend son temps (2h40) pour nous raconter la vie singulière de Benjamin Button. Le rythme est langoureux, épousant harmonieusement la mélancolie déchirante de chaque scène, mais dépourvu de toute longueur. L'ennui ne s'installe jamais, on est saisi de fascination et d'émotions de la première à la dernière image. Le film est une chronique amère du temps qui passe, ici celui d'une vie d'homme. Ou plutôt le temps de plusieurs vies qui se croisent, qui se perdent et se retrouvent toujours.

Nimbée d'une photographie mordorée de toute beauté, investie par une infinité d'atmosphères familières et magiques, portée par la sublime partition d'Alexandre Desplat et des mouvements de caméra d'une élégance folle, l'histoire se déploie avec fluidité et simplicité, épousant les différents moments d'une existence tout entière. La reconstitution de chaque décennie est époustouflante. Mais si le spectacle est colossal, il reste toujours humain. Douloureusement humain. Ce qu'explore le film de Fincher, c'est la tristesse infinie de nos vies, la peur viscérale de la mort comme du commencement. Vertigineuse situation que celle d'un homme qui naît comme un vieillard et qui meurt sous les traits d'un nouveau-né, dans les bras de sa bien-aimée, ridée et chenue. Bouleversant scénario qui touche à nos angoisses les plus profondes et les plus universelles, derrière son étrangeté assumée. Les questions que se pose sans cesse le protagoniste sont les nôtres. Plus que la peur de vieillir et de mourir, c'est la peur des extrêmes qui nous saisit, celle de la mort comme celle de la naissance. L'origine et la destination de la vie ne font qu'un dans L'Étrange Histoire de Benjamin Button. Avant de venir au monde ou après l'avoir quitté, il n'y a que le néant, la plus grande et la plus humaine de toutes les terreurs.

La principale qualité du film est d'avoir su donner un corps, un visage inoubliable à cette terreur, en la personne de Brad Pitt, qui livre une performance d'acteur irrésistible. Enfantin et enjoué lorsqu'il a les traits d'un vieillard ; d'une maturité déconcertante lorsqu'il retrouve la jeunesse qui était ironiquement la sienne au début de sa carrière (Thelma et Louise, Rencontre avec Joe Black...). Il y a quelque chose de terriblement poignant à voir Brad Pitt incarner un rôle marqué par les âges, à un moment de sa carrière où l'image de jeune playboy qui a forgé sa légende ne lui appartient plus. Derrière le personnage, c'est l'homme qui prend conscience de son âge et de sa propre mortalité. Le rajeunissement de Benjamin Button est bien plus douloureux que rassurant : ce n'est que du cinéma, un habile artifice qui n'éteint en aucun cas l'angoisse de l'âge. Il n'offre à son acteur qu'une cure de jouvence éphémère, le temps de quelques séquences où la magie des effets spéciaux se révèle sidérante. Car, ainsi que le dit la réplique la plus marquante du film, « rien ne dure jamais ». La leçon bouleverse autant qu'elle fascine, par la réversibilité de sa puissance d'évocation : si la vie a une fin, le cinéma peut en conserver l'éclat, à tout jamais ; il peut maudire les Parques et, avec une fière insolence, refuser de lâcher prise. De la « prise de vue » à la « prise de vie », il n'y a qu'un pas...
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le 7 août 2010

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