Se souvient-on encore de Luis Llosa, cet obscur tâcheron hollywoodien des 90’s capable de magnifier un anaconda géant dans un horrible navet de 50 millions de dollars ?
Pas vraiment. Et pourtant ce natif péruvien exilé aux States a triomphé deux fois au box-office, la première c’était avec le médiocre Sniper tireur d’élite, actioner bourrino-militaire ressuscitant brièvement la carrière de Tom Berenger, la deuxième c’était avec L’Expert, thriller glamour à tendance nanardesque produit à la gloire de Stallone, lequel acceptait ici un rôle que Steven Seagal avait auparavant refusé. Désireux de côtoyer de près Sharon Stone à l’écran, depuis que celle-ci avait roulé un formidable patin à Schwarzenegger (dans Total Recall) et fait sa fête à Michael Douglas (dans Basic Instinct), la star de Demolition Man voit dans le script de L’Expert l’occasion idéale de partager l’affiche avec la sublime vamp du box-office tout en se réservant l’éternel beau rôle de justicier au grand cœur. Le problème étant que la trame du film tient sur une feuille de papier toilette et que le sujet surfe sur la mode quelque peu amorale des films de poseurs de bombes (les excellents Speed et Die Hard 3 venaient de passer par là). Qui plus est, la production doit compter avec la menace d’un projet concurrent, bien plus réussi mais aussi bien moins glamour (Blown Away de Stephen Hopkins). D’où la nécessité pour The Specialist de sortir hors des sentiers battus en faisant ici de son protagoniste Ray Quick (Stallone en mode déprime), un gentil poseur de bombes (oxymore) trainant en lui un vilain traumatisme de petite fille assassinée par sa faute. Reconverti dans l’assassinat de mafiosi aussi cons et moches que misogynes, Ray est bientôt contacté par la mystérieuse May Munroe (Sharon Stone) qui souhaite avoir recours à ses talents d’artilleur pour châtier les méchants trafiquants responsables de l’assassinat de ses parents. Le mercenaire trouve alors là une parfaite occasion de se racheter en jouant les anti-héros, et affronte à nouveau sa bête noire, Ned Trent (James Woods), son ancien mentor un rien psychopathe, lui-même reconverti en consigliere de la pègre. Bien sûr, le film offrira un véritable déluge pyrotechnique, quelques bastons mettant en valeur les beaux muscles de Sly (on ne change pas les caprices égotiques d’un acteur pesant des millions) ainsi qu’une timide séquence d’amour avec la belle Sharon qui, loin de la fougue érotique d’une Catherine Tramell, se contentera de faire des chatouilles aux patounes de Rambo.
Obligé de composer du mieux qu’il peut avec le script famélique qu’on lui propose, Luis Llosa s’en sort finalement pas trop mal, s’amusant visiblement à dézinguer ses vilains gangsters avec une inventivité réjouissante (le décompte de la machine à tickets) tout en n’oubliant jamais de céder aux impératifs de sa star via quelques scènes imposées, comme la séance de bourre-piffes dans le bus, qui d’ailleurs ne sert absolument à rien à l’intrigue. Ces quelques idées ne suffisent évidemment pas à relever le niveau d’un vigilante movie bourré de clichés et d’emprunts évidents aux films noirs (les appels mystérieux de Ray à May). S’ils partagent tous deux le haut de l’affiche, Stallone peine un peu à exister autrement que comme le sempiternel action hero sans profondeur et Sharon Stone n’a visiblement été embauchée que pour nous resservir son numéro de vamp sexy et mystérieuse, à mi-chemin entre Catherine Tramell et Ginger McKenna.
On en vient donc au seul élément qui fait tout l’intérêt du métrage et prouve à ceux qui en douteraient encore qu’il suffit parfois d’un seul acteur de talent casé entre deux stars surévaluées pour transformer un navet quelconque en sympathique petit film de genre. Car si L’Expert peut encore s’apprécier comme un honnête divertissement (ou un sympathique nanar c’est selon), c’est en effet moins pour la présence désincarnée de son couple vedette que pour la prestation savoureuse du génial et trop rare James Woods. Energique au possible, l’acteur de Videodrome, Cop et La Manière forte éclipse à lui seul tout le restant de la distribution à chacune de ses scènes, livrant ici un savoureux numéro de salopard puissance 10 aussi infâme que ses crises de nerfs sont terriblement drôles. Sa prestation se rapproche ainsi pour beaucoup de celle de Gary Oldman dans Léon, le côté légèrement cabotin en plus, au point qu’on en vient rapidement à guetter chacune de ses apparitions et même à regretter son stupide trépas. Face à lui, le stakhanoviste Eric Roberts roule ce qu’il faut de mécanique dans la peau d’un fils à papa mafieux quand Rod Steiger hurle et pleure comme à son habitude dans un rôle de vieux patron de la pègre. Un beau casting certes, un duo de stars alléchant, mais L’Expert ne vaut vraiment le coup d’oeil que pour la prestation enlevée de Woods et la magnifique ordure qu’il incarne.