Prenez du "Slumdog Millionnaire" pour le côté picaresque et le contexte indien de départ, ajoutez une bonne dose du style inimitable du suédois Jonas Jonasson ("Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire") pour l'histoire rocambolesque d'une vie teintée de rencontres improbables, secouez le tout dans une quête naïve à la "Le Voyage d'Hector ou la Recherche du Bonheur" de François Lelord où l'amour remplace le bonheur, saupoudrez d'une thématique inédite, celle des migrants, pour offrir quelque chose de vaguement original et, enfin, servez le tout avec un titre absurde, histoire d'attirer l'oeil sur la couverture de votre livre.
Et, hop, sans trop se fouler, "L'Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea" écrit par le français Romain Puértolas est devenu presque logiquement un best-seller amené à connaître une adaptation cinématographique !


Malgré tous les a priori négatifs entourant une telle recette littéraire préfabriquée, on pouvait supposer qu'un film pourrait peut-être en transcender les poncifs pour devenir enfin ce conte dotée d'une réelle magie que le livre cherchait désespérément à atteindre sans jamais y parvenir.
Pas de bol, faute d'une vraie vision, cette production à majorité française mais prenant des allures de grand barnum international (le réalisateur canadien du hit "Starbuck", Ken Scott + une distribution improbable d'acteurs rassemblant la star indienne Dhanush dans le rôle principal, l'américaine Erin Moriarty, Bérénice Bejo et... Gérard Jugnot) se révèle en réalité aussi factice que son matériau d'origine.


C'est bien simple, si vous vu les transpositions sur grand écran des oeuvres citées au début de cette critique, "L'Extraordinaire voyage du Fakir" se voit presque dès les premières minutes comme un très mauvais décalque. Là où tous ces autres films pouvaient, eux, (plus ou moins) prétendre à une certaine originalité, celui de Ken Scott, lui, ressemble tellement à une formule prémâchée qu'absolument aucune émotion n'arrive en ressortir. Tout sonne creux d'une puissance assez phénoménale ! "L'extraordinaire..." prend en fait la forme d'un agglomérat perpétuel de passages obligés de ce que devrait être un conte absurde sentimental dans l'imaginaire collectif. L'approche naïve voulue en devient ainsi non pas niaise mais carrément cynique par sa certitude à savoir quoi délivrer pour cocher toutes les cases d'un cahier des charges qui serait dévolu à ce type de récit. Ben non, désolé, aucune magie susceptible de nous faire vibrer en résonance du destin de ce jeune Indien ne se crée d'une manière aussi industrielle et, dès lors que l'on s'en rend compte, le film devient extrêmement pénible à suivre, d'autant plus que rien n'est fait à côté pour nous aider.


Hormis de chouettes décors de cartes postales (aaah, ce Paris romantique éternel...), "L'extraordinaire voyage du Fakir" n'a absolument rien d'extraordinaire visuellement en ne cherchant même pas à retranscrire de manière inventive la fausse extravagance des aventures de son héros. À l'image de la pauvreté des deux numéros musicaux semblant sortir de nulle part ou un passage en montgolfière, quintessence même de cette "poésie" aussi artificielle qu'imbuvable gangrenant le film, tout est filmé avec une platitude invraisemblable qui ne fait que renforcer le sentiment d'un long-métrage cherchant à reproduire à la va-vite la réussite de modèles bien plus illustres. Les différentes étapes de ce voyage initiatique finiront par se suivre péniblement, liées par une finalité sentimentale aussi horriblement simpliste que bourrée de clichés et à la qualité à peine rehaussée par un discours sur les migrants oscillant entre un sentimentalisme bien trop mal dosé et la dénonciation pertinente de l'absurdité du comportement occidental à leur égard (on sauvera tout de même la jolie séquence en Libye, peut-être un des rares moments où le film ne sonne pas complètement faux).


Au final, pour une histoire qui voulait mêler la fantaisie à l'émotion, on sourira très peu ou on ne ressentira pas grand chose devant un produit ne parvenant jamais à imiter ses modèles qu'il pille sans en comprendre la magie et, malgré un casting qui rendra l'ensemble supportable, on sera assez heureux de voir le voyage de ce fakir se terminer rapidement dans l'indifférence qui ne l'a jamais quitté.

RedArrow
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le 30 mai 2018

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