Il n’est jamais très aisé de traiter de l’adolescence au cinéma, pour la bonne et simple et raison que le regard derrière la caméra ou à l’écriture est celui d’un adulte. Cette période de transition où la contradiction fait loi est par ailleurs si difficile à capter que les premiers concernés eux-mêmes sont bien en peine de la définir de façon stable.
C’est une part de cette étrangeté qui motive L’heure de la sortie, immersion dans un collège privé où une classe expérimentale réunit l’élite de l’académie, et que va devoir prendre en charge un professeur remplaçant à la suite du spectaculaire suicide de son prédécesseur. Choc des cultures, entre un prof plus habitué aux ZEP qu’à ces machines à vaincre exigeant d’avancer dans le programme du lycée, alors que le Brevet n’est même pas encore passé, et l’occasion pour Laurent Laffite de jouer sur deux tableaux : celui de l’enseignant à l’écoute, et de l’homme qui, en privé, laisse une certaine immaturité affective prendre le dessus.
Le film suit les voies du genre pour distiller une atmosphère propice au trouble : un établissement où l’équipe semble elle-même plutôt perchée, des lieux cadrés au point qu’on ne maîtrise jamais l’architecture d’ensemble, et un auditoire qui, en lieu et place de l’écoute attendue, oppose un silence glacial de condescendance ; le tout sculpté par envoûtante bande originale de Zombie Zombie, un groupe décidément à suivre avec attention.
Le jeu des points de vue conditionne tout le mystère toxique de cette familiarisation : rivé au personnage de Laffite, le récit le met certes sur le devant de l’estrade, mais davantage dans une position de candidat en plein oral, et qui serait sur le point d’échouer. Dans la même lignée, sa fascination pour son public le conduit à prendre, presque malgré lui, le rôle du voyeur, observant ces étranges êtres évoluer dans des cérémonies ordaliques, rejouant Fight Club avec l’impassibilité des initiés, troublants même lorsqu’ils chantent sous la direction de la prof de musique, lors d’une très belle scène observée depuis les coursives d’un lieu se transformant en chapelle païenne. Les sorties de route deviennent sciemment problématiques pour le spectateur, qui se demande si les élèves jouent un rôle à destination du nouveau venu (lorsqu’on lui fait, par exemple, remarquer que les DVD qu’il a retrouvés correspondent à sa génération plus qu’à la jeunesse, en pleine ère de la dématérialisation), ou si ce dernier commence à perdre pied, à partir du moment où son propre environnement, qui s’épaissit de cafards, de grésillements et d’une chaleur accablante semble contaminé par toute cette inquiétante étrangeté.
La perte de repère se généralise donc, puisque rien n’est tout à fait lisible, à commencer par l’instabilité du protagoniste. Tous les rôles sont tenus avec une maîtrise glaçante (mention spéciale à Gringe et aux jeunes leaders du groupe néo-apocalyptique), et le malaise est d’autant plus prégnant que les tendances suicidaires des adolescents, qualifiés presque par automatisme de romantisme immature par le prof de lettres, trouvent en réalité leurs racines dans une lucidité effarante sur la décadence du monde.
Alors que le scénario prend une direction qui peut sembler décevante par sa prévisibilité, la malice noire n’a en réalité jamais vraiment quitté la trame de ce voyage sans retour. La manière dont le professeur se retrouve à sauver le groupe du suicide collectif dans une scène de poursuite au bord du gouffre donne le sentiment de reprendre les rails d’une fiction conventionnelle, leurre presque sadique avant le dénouement réel. Impossible, bien entendu, de ne pas penser à Take Shelter et ce cruel revirement qui donne raison à celui qu’on avait confortablement catalogué comme excessif, histoire de nous rassurer ; à une différence, de taille : dans le film de Jeff Nichols, l’événement faisait de lui une sorte de visionnaire, voire de prophète du chaos. Dans L’Heure de la sortie, titre qui prend des dimensions désormais apocalyptiques, la catastrophe n’a rien de fantastique : elle nous enjoint à rejoindre le constat de « six enfants, peut-être un peu trop lucides », face à des images qui sont « le témoignage du monde d’avant ».