« Ce n'est pas un documentaire depardonnesque, c'est une comédie ! », nous avait averti Vincent Gérard venu présenter son film. L'idée était de « fabriquer une histoire à partir des crypto-pistes » amassées lors des cinq ans de préparation du film. L'Homme-Fumée, une aventure démocratique est donc l'histoire d'un ethnologue qui vient interroger les habitants d'un village viticole de Bourgogne, Pernand-Vergelesses, laboratoire d'expérimentations politiques tout au long du XXe siècle mais rattrapé par l'individualisme dans les dernières décennies. Ou peut-être celle d'un enquêteur, discret et attentif, qui, armé d'un magnétophone et d'un carnet de notes, tente de cerner comment retrouver le vivre-ensemble porté disparu. Le film s'ouvre sur une séance du conseil municipal dont l'ordre du jour est bouleversé par l'arrivée de l'ethnologue au nom réellement emprunté au héros des Raisins de la colère, Tom Joad, au faciès problablement emprunté à Michel Foucault et à la voix indubitablement empruntée au doubleur français des documentaires animaliers de la BBC. Le choix du noir et blanc, la bande originale toute en diversité et en vitamines, l'alternance des scènes d'interview des habitants avec les promenades solitaires et la consignation des réflexions du chercheur contribuent à dramatiser le film, et lui confèrent tour à tour des allures de western, de polar ou de pastorale. Vincent Gérard et Cédric Laty proposent donc un docufiction où « tout est écrit ». En mettant en scène des vrais-faux entretiens, ils ne prétendent pas capter sur le vif une chimérique ''authenticité'', ils dessinent petit à petit une fresque qui révèle la diversité des habitants du village, les liens qui demeurent et ceux qui se sont dissolus. La présence de l'ethnologue, traitée avec beaucoup d'auto-dérision, nimbe tout le film d'un voile de tendre ironie sur le jeu social qui permet aux réalisateurs de gagner leur pari comique sans pourtant évacuer nombre des réalités attristantes de la modernité. Ainsi, il est beaucoup question des « fantômes », ces habitants du passé qui ont fait les grandes heures de Pernand-Vergelesses, et dont la mémoire continue à rattacher les jeunes générations à ce territoire rural plutôt qu'à n'importe quel autre lieu du ''village global''. Ces aïeux qui avaient le goût de l'échange, avant que l'informatique n'entre dans les maisons, n'entraîne un « chacun chez soi » et ne signe la fin des bandes d'enfants bâtissant des châteaux forts réels pour se protéger d'ennemis imaginaires. « A quoi rêvez-vous ? », interroge l'ethnologue. Les habitants évoquent leur avenir et la mort annoncée des petites exploitations qui seront rachetées par les grands propriétaires si leurs enfants ne reprennent pas l'affaire familiale. Une « fée dans les bois » nous souffle une solution possible : il faudrait « ouvrir la notion de famille » (mais reste à convaincre l' « homme à la messe » et la « femme à la messe ») ! L'ethnologue a lui aussi sa petite utopie, qui clôt joliment le film sur une note symbolique.