L'oeuf de l'Ange est le 3ème long métrage d'animation de Mamoru Oshii. Ayant travaillé à 2 reprises sur des adaptations de la série Lamu, sa véritable liberté artistique ne s'exprime véritablement qu'à partir de L'oeuf de l'Ange, premier film qu'il réalise en indépendant. Pour l'aider dans cette tâche il fait appel à Yoshitaka Amano - bien connu des gamers à travers la planète pour ses travaux postérieurs sur plusieurs Final Fantasy (le 6 et le 9 notamment) en tant que Character Designer - pour s'occuper du dessin.
Ayant découvert (et adoré) l'univers d'Oshii avec Ghost in The Shell, et étant passionné de jeu vidéo, la collaboration était donc particulièrement alléchante. Et les attentes grandes.
Sur un fond narratif teinté d'ancien testament et/ou de mythes summériens, L'Oeuf de l'Ange met en scène uniquement 2 personnages: une petite fille et un jeune guerrier. Ni l'époque ni le lieu n'est indiqué mais l'atmosphère évoque une contrée post-apocalyptique ou du moins post-cataclysmique.
Comme plus tard dans GITS (la version longue surtout), Oshii nous impose son rythme particulier. Ainsi les longues scènes de pluie et les regards fixes des personnages, mélés à une économie de dialogues, happent et fascinent autant qu'ils déstabilisent. Assez rapidement on ne sait plus ce que l'on regarde, et le besoin de repères se fait sentir.
Mais la grande force du film vient du visuel. Amano signe des illustrations d'une force visuelle suffisamment intense pour que notre besoin de repères disparaisse au fur et à mesure en laissant place à un émerveillement croissant. La réussite d'Amano est d'autant plus grande que, contexte post-apocalyptique oblige, il est assez limité dans son choix de couleurs, de formes, de bâtiments....
On se laisse alors dériver, un peu hors du temps, à suivre cette histoire métaphorique pourtant très simple, mais qui semble faire écho à une certaine complexité humaine (thème qui sera bien plus développé dans ses films suivants).
Ainsi, Oshii positionne très tôt son cinéma dans un courant très différent de ses collègues de l'époque (Miyazaki et Takahata), en refusant la notion de spectacle et en recherchant une émotion proche de celle que l'on peut avoir face à un tableau. Pas étonnant que Oshii ait été particulièrement touché par La Jetée de Chris Marker ou par l'oeuvre picturale de Bergman. Pas étonnant non plus que Oshii ait par la suite développé un univers aussi riche, inspirant à son tour toute une génération de cinéastes.
L'oeuf de l'Ange est donc un film à voir non seulement pour son visuel remarquable mais aussi pour comprendre un peu mieux le positionnement résistant de son auteur, qui, loin de se contenter de marcher dans les sillons du rêve tracé par Miyasaki, choisit de s'opposer à cet idéalisme en fournissant une autre approche de l'animation. Non pas au service du grand spectacle, mais au service de l'Art.
Et c'est en ce sens que Mamoru Oshii est un grand. Un très grand.