Palerme, un aller sans retour
Sorti d'abord en 1995, le premier film des italiens Cipri et Maresco ressort cette année en version numérisée et en DVD grâce à une poignée de jeunes étudiants cinéphile. Les auteurs de Toto qui vécut deux fois et du Retour de Gagliostro qui, à présent, ne travaillent plus ensemble, produisent un cinéma radical, subversif et déconcertant qui vise à s'inscrire dans la provocation assumée contre la médiocrité ambiante de la production nationale. Si l'histoire difficilement racontable n'a après tout peu d'importance, c'est d'abord la forme inédite qui retient l'attention. La beauté des plans dans les faubourgs de Palerme où les immeubles neufs voisinent avec des bâtiments insalubres, dessinant une géométrie rectiligne tirée au cordeau, vient tamponner de plein fouet la sauvagerie et l'animalité des personnages. Des hommes qui s'empiffrent jusqu'à en mourir, d'autres obsédés et fous, tous peuplent une étrange cour des miracles parcourue de processions cocasses. On sent ici les influences multiples : celle de Luis Bunuel tant le plan inaugural fait penser à celui qui ouvre Un chien andalou, mais aussi Pier Paolo Pasolini (la dimension politique), Federico Fellini (le rapport aux corps monstrueux) et, évidemment, à Marco Ferreri pour La Grande Bouffe.
Derrière une apparence de kaléidoscope et de joyeux bordel, le film, au final, révèle une belle cohérence dans les apparitions récurrentes des personnages, principaux comme secondaires, jusqu'à un tableau final, mêlant le sacré au païen, qui les rassemble tous. Ce duo d'artistes visionnaires et incompris est à même de réaliser un film aux cadrages impeccables et aux plans-séquences audacieux. Mais ne nous y trompons pas : au-delà des gags et du grand-guignol se dissimule une noirceur apocalyptique. Toutes ces figures errantes, à moitié nues, au milieu des gravats, témoignent d'un monde ravagé sans amour - les femmes en sont totalement absentes, seule une vieille (et pas sûr qu'elle ne soit pas interprétée par un acteur) constamment injuriée et molestée par son fils.
Il s'agit donc d'une curiosité cinématographique qu'il serait dommage de louper, non seulement parce qu'elle dénote singulièrement des films habituels, mais aussi parce que ses auteurs, un peu maudits, notamment des institutions italiennes, sont congratulés par leurs plus éminents pairs, à l'instar de Marco Bellocchio.