Ludvik est un membre haut-placé d'une administration communiste tchèque en pleine période de purge. Alors que tous ses proches dans le parti sont arrêtés, il ne met pas longtemps à saisir la précarité de sa situation et, rentrant d'une soirée réunissant les pontes de la bureaucratie du pays, il décide de se débarrasser des documents susceptibles de témoigner sa sympathie envers les récents déchus. Arrivé chez lui avec sa femme ivre, ils trouvent la maison ouverte et sans électricité. Ce qu'ils pensent d'abord être la cause de l'insouciance de leur fils leur apparaît de plus en plus clairement être l'oeuvre des renseignements tchèques qui procédaient alors à des écoutes via les fameuses "Oreilles". L'alcool n'aidant pas, ils vont tenter de rassembler leurs esprits afin d'asseoir la véracité de leurs suggestions.
Créer la paranoïa la plus dévorante à partir du simple pouvoir de suggestion, voilà bien l'indice de bonne forme du cinéma comme celui du régime totalitaire. Karel Kachyna construit son film comme une démonstration de cette puissance intrusive en modelant sa technique cinématographique pour ne plus seulement lui donner les traits d'un outil menant à bien un scénario, mais bien une consistance et une capacité d'interpellation propre. Par un montage prodigieux, modèle d'alternance présent/flash-back, il semble traduire à l'écran la propagation du doute puis de la peur à l'exacte même vitesse avec laquelle ils s'installent dans la tête des protagonistes. Là encore, s'immiscer de la sorte dans l'intime profond est la plus grande réussite de l'artiste, mais aussi... de l'Etat gendarme !
Pour autant, Kachyna ne se borne pas aux ravages névralgiques et psychologiques purement personnels, il dépeint la déliquescence sociale à travers la mise en branle du couple — entendons, du mariage. On peut bien sûr invoquer, comme c'est fait de manière très drôle dans le film, le rapport conflictuel entre communisme et religion, mais plus simplement, il s'agit d'aborder d'une manière moins cérébrale ou psychique cette fois, l'intrusion du pouvoir au plus profond des familles.
Grande victoire que celle de l'ennemi qui se fait fantôme, pourrait-on dire, quand le couple se déchire sur l'échec de son mariage et non par la séparation brutale d'une arrestation attendue (et qui n'arrive décidément pas). Mais, et l'image est forte, il finit par se recueillir enfin quand tout lui semble perdu, au chevet du fils, endormi, dont on aperçoit pour la première fois le visage calme et apaisé quand ses parents, misérables et apeurés, pensent le voir pour la dernière fois. Le contraste est saisissant, le tableau est christique, le déclin d'une génération à genou implorant l'éveil de la suivante. Un symbole simple, innocent comme un enfant qui dort et pourtant plein d'espoir, comme une révolution qui vient, à pas de velours...
...À moins que — qu'en sait on en 1970 ? — le cercle vicieux ne dure plusieurs tours, l'ironie cinglante du final laisse Ludvik et Anna perdus dans un spectre expectatif qui s'étend du néant au radieux. Stupeur, fondu au noir, au revoir.