1946 : la France s’éveille, et avec elle le désir de reconquête après des années d’humiliation. Le cinéma a tourné en sourdine, même si quelques réalisateurs – à qui on le reprochera vivement par la suite – ont continué à tourner sous l’occupant, parfois des chefs-d’œuvre.
La Bataille du rail joue un rôle tout à fait particulier dans cet esprit de redressement du pays. Par le discours qu’il propose sur l’Histoire à écrire, et par l’esthétique qu’il y consacre.
Résolument documentaire, le film ne propose pas réellement un récit, mais dépeint plutôt la façon dont les cheminots ont contribué à la libération du pays par des actions résistantes. De ce fait, la dimension didactique est omniprésente, notamment dans le recours à la voix off qui explique, assez amusée, la manière dont les français font tourner l’occupant en bourrique. Cette approche descriptive permet quelques passages intéressants en termes de mise en scène, notamment dans cette ouverture qui montre la façon dont le train est occupé, dans chacune de ses cloisons, par des clandestins prêts à tous les sacrifices. On pense un peu au Trou de Becker dans cette façon de prendre le temps pour restituer la méticulosité des actions sans recourir aux artifices de la musique ou du lyrisme narratif. Même le morceau de bravoure, à savoir le déraillement d’un train, prend une allure d’image d’archive, ce qui ajoute à sa valeur historique.
Le film comme témoignage précis et documenté sur une période trouble de l’Histoire n’en est pas à son coup d’essai : c’était le même principe qui motivait Les Croix de bois de Raymond Bernard en 1932 sur la Grande Guerre. Mais la différence de taille réside ici dans le parti pris et la façon dont le film vise à instituer ce mythe de la France unanimement résistante, balayant la propagande précédente par une nouvelle. On a du mal à ne pas être gêné de voir à quel point les Résistants sont partout, la facilité avec laquelle ils progressent, leur entrain sans entraves et, surtout, le fait qu’ils soient partout, solidaires et unis.
Ce que l’œuvre gagne en valeur documentaire, elle le perd donc en objectivité. Ce n’est pas si dommage que cela : le spectateur du XXIème siècle en apprendra davantage sur le discours orienté qui va dominer plusieurs décennies après l’occupation que sur cette période en particulier.