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La Belle au bois dormant
6.5
La Belle au bois dormant

Long-métrage d'animation de Clyde Geronimi (1959)

Troisième et dernière adaptation de contes de fées sous l’ère Walt Disney, La Belle au Bois dormant est sans contexte le plus ambitieux et audacieux. C’est un chantier de six années (sans parler des travaux préparatoires de 1951), parfois chaotiques et surtout marquées par une implication dégressive de Walt Disney (principalement occupé par le projet Disneyland).



« Oh père, tout cela est très démodé. Nous sommes au 14ème siècle ! »



Avec son budget de six millions de dollars, cela en fait le plus cher film d’animation de son époque. Il sera bel et bien le coup de grâce de l’ambition technique (en animation) du studio Disney. Après des années 50, retrouvant peu à peu le chemin du premier âge d’or, le zénith que représente Sleeping Beauty sera une leçon de modestie pour Walt Disney. En effet, les œuvres suivantes ne lésineront pas sur les économies (comme par l’utilisation de la Xerox : photocopieuse), avec comme priorité le divertissement et non ce goût pour le risque artistique (l'une des raisons pour laquelle Wolfgang Reitherman sera choisi en 1961 pour prendre la direction du pôle animation). S’ajoute à cela, une prise de conscience d’un désintérêt public envers les contes de fées. Walt Disney déclara même qu’à présent il se contentera de projets plus raisonnables, comptant les péripéties d’animaux ou de jeunes garçons. Raison pour laquelle Merlin L’enchanteur sera préféré au Chantecler et le Renard (projet de 1937 sortie des cartons par Marc Davis, refusé, car jugé trop coûteux et risqué). Pour la petite histoire, les collaborateurs de Roy Disney ont envisagé la fermeture du studio d’animation. Leur conclusion est simple : cette activité n’est pas suffisamment rentable à court et moyen terme. On assiste à une nouvelle joute fraternelle, dont Walt Disney répliqua bien évidemment que cela était inenvisageable. Pour lui, un ralentissement de la production (un film d’animation tous les 4 ans contre 2 ans) et surtout une réduction des coûts seraient suffisants (ouf !!!). Mais cette victoire sera de courte durée…



« Les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un
détail. » Leonardo Da Vinci



Sleeping Beauty est l’un des films d’animation les plus importants, allant au-delà de son statut d’œuvre estampillé Disney. Comme les cinq grands, la direction artistique du film est unique, mais contrairement à ses aînés celui-ci ne sera jamais imité. L’échec critique et commercial du film a sans doute joué sur son influence. Walt Disney, pour livrer son conte de fées ultime et corriger les faiblesses techniques des deux précédentes productions (Cendrillon et Blanche Neige), remet toute sa confiance envers Eyvind Earle. Très pointilleux et en parfaite harmonie avec la vision de Walt Disney (allé sans cesse plus loin), il laissera comme nul autre son empreinte dans un film Disney. Il rentrera d’ailleurs en conflit avec le réalisateur du film (Clyde Geromini) et quittera le studio au cours la production. Malgré tout, son héritage reste lisible à chaque instant, notamment par des décors remettant en cause les codes des productions Disney. Ici, les personnages sont pensés pour les décors et non l’inverse, un nouveau défi pour les artistes du studio. L’impact est d’autant plus important par l’abandon de courbes arrondies (facilitant l’empathie) vers des courbes horizontales et verticales très tranchées (En guise d'exemple: Once Upon a Dream). Ce choix procure un ton beaucoup plus réaliste et froid qu’accoutumé. C’est pourquoi, Aurore n’est pas un personnage de cartoon comme Blanche-Neige qui elle est mignonne, mais à l’instar de son modèle Audrey Hepburn d’une grande beauté. Grâce au travail d’Eyvind Earle, le cinéma d’animation atteint une dimension picturale non loin des maîtres du 3e art. Il serait vain et fastidieux d’énumérer telles ou telles séquences par rapport à une autre, en termes, de « plastique ». Il sera plus aisé de retenir certains « mouvements » par l’apport qu’offrent l’accompagnement musical et la mise en scène, oeuvrant à rendre honneur à ce travail d’orfèvre.


Il y a beaucoup à dire sur la mise en scène, mais pour résumé disons qu’elle atteint un niveau de sophistication à la hauteur de son ambition artistique. Les meilleurs exemples sont les passages dans la forêt, avant et après, la rencontre entre Aurore et le prince Philippe. L’usage de la caméra Multiplane en est bien évidemment l’un des grands artisans, notamment, lorsque Philippe poursuit sur son fidèle destrier la voix pure et envoutante d’Aurore (avec le recours de deux caméras mutiplanes : une à la verticale et l’autre à l’horizontale). Le rendu est d’autant plus remarquable par l’utilisation du format Super Technirama 70, déjà utiliser pour La Belle et Le Clochard. Mais c’est évidemment une harmonie entre la direction artistique, la mise en scène et l’accompagnement musical qui permet d’atteindre la perfection. L’affrontement entre Philippe et Maléfique pourrait servir à illustrer mon propos, mais je préfère une scène beaucoup plus audacieuse et subtile. L’appel de Maléfique à Aurore, envoutée par le sort du personnage charismatique par excellence, dégage une atmosphère terrifiante et malsaine que seule une combinaison ciseler de ces éléments puisse révéler.


L’arrangement musical de l’œuvre éponyme de Tchaikovsky est l’une des grandes réussites du film après la direction artistique et l’animation (inutile d’en parler, nous sommes chez Disney à son apogée). De prime abord, on pourrait croire qu’il s’apparente à celui pour Fantasia, par quelques arrangements ici et là pour mieux coller au format. Mais cela va bien plus loin qu’une synchronisation pure et parfaite du son et de l’image. Malgré, toute l’attention portée vers l’aspect visuel, c’est véritablement la musique qui constitue l’essence de l’œuvre. Elle fait office de chef d’orchestre par son impact évident sur le rythme, l’ambiance, l’émotion, tout en œuvrant à « l’écriture » du scénario (très proche de la philosophie de Sergio Leone). Il est d’usage de définir les films Disney comme des films musicaux, mais très souvent perçus de manière réductrice (simplement rythmés par un bon nombre de chansons). Ceux qui tiennent ce discours réducteur sont (à mes yeux) dans l’erreur, ne percevant pas l’essence d’un film Disney. En s’attardant un tant soit peu sur les cartoons muets d’Oswald, on peut facilement se surprendre à noter un certain timbre musical. C’est sans doute, pour cette raison que le sonore chez Disney est devenu une évidence.



« Qui pense peu se trompe beaucoup. » Leonardo Da Vinci



Cette vision du cinéma implique une part non négligeable de non-dit, d’ellipses et de métaphores qui permet au mouvement musical de préserver son harmonie. Pour certains, cela occulte la richesse scénaristique et la profondeur des personnages. Sur ce point, on peut très aisément dévaloriser le film, en le définissant comme une œuvre prétentieuse sans grand intérêt. Un film comme Sleeping Beauty est voué avant tout à créer une expérience cinématographique. L’ensemble des atouts précédents évoqués créent l’illusion d’assister à un authentique et véritable conte de fées. En d’autres mots, les singularités artistiques et techniques soutiennent une histoire simple et universelle.


Simple ? Pas tellement… L’environnement politique ou le parcours des personnages offrent une interrogation loin d’être évidents. À titre d’exemple, celui d’Aurore, pourquoi est-elle si pure et naïve ? N’est-elle pas dès sa naissance vouée à être victime et à subir les revers de sa condition ? Il faut dire que ces années dans la forêt isolée de tout, éduquée par des fées n’ayant pas la notion de la réalité humaine (lui contant des histoires romantiques et idéalisées), à contempler la vue d’un château inaccessible (qui en réalité lui appartient) ne peuvent mener qu’à cette finalité. Mais d’un autre côté, elle semble beaucoup plus libre et surtout moins sage que ces aînés (Cendrillon et Blanche-Neige). Par ailleurs, Maléfique être pernicieux, ayant une aversion envers tous et tout ce qui incarne le bonheur et la joie, semble dans le dernier acte plus fragile qu’il n’y parait. En effet, elle émet une frustration, adoucie par l’accomplissement de ces plans machiavéliques. À l’aube de sa vie, n’avait-elle pas des idéaux semblables à ceux qu’incarne Rose ? Mais une destruction brutale de ces derniers l’a conduite et emprisonnée (une autorité par la terreur qui l’a rend terriblement seule et isolée) dans une voie sans retour par la création d’un personnage devenu l’incarnation du mal. De plus, notre soi-disant héros ne terrasse Maléfique que par le soutien des fées sans lesquelles il est impuissant et démuni. Donc il combat une femme pour une femme, mais ne peut être victorieux que par le soutien de femmes. Ce film est-il féministe ?


Je laisse bien évidemment, libre à chacun d’en tiré ces propres conclusions et hypothèses (les possibilités ne manquent pas). Pour en finir avec mon plaidoyer, notons que le film omet dans sa conclusion, le traditionnel : « et ils vécurent heureux... » (ouverture vers le second acte, non adapté, trop âpre pour un film du studio).


Tout cela pour vous proposer de revoir sans attendre Le Belle au bois dormant, en faisant abstraction de tous les a priori et idées reçues construites à l’encontre de ce film (car le film est plus riche qu’il n’y parait). Pour finir, le cinéma d’animation n’aura été que rarement par son écrin aussi proche du divin. Le temps est ainsi venu de redorer les armoiries d’une œuvre que je définis comme une expérience cinématographique à l’état pur...


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le 2 juin 2016

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ElDiablo

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